Airbus et Boeing produisent-ils trop d’avions ?
Tout bien réfléchi, ce n’est peut-être pas un épiphénomène. Quelques observateurs ont fait remarquer, ces jours-ci, que la production d’avions de transport, toutes catégories confondues, risque de bientôt dépasser la «vraie» demande. Une critique récurrente, qui ne permet aucune analyse crédible, faute de repères indiscutables. Reste le fait que le doute est peut-être en train de s’installer.
Jacques Delys, directeur du très respecté cabinet-conseil ID Aéro, exprime à son tour une grande perplexité : «une bulle est peut-être en train de se former, l’offre industrielle risque d’être supérieure à la demande», dit-il. Cela sans reprendre pour autant à son compte l’analyse inquiète d’Avitas, basée sur une prévision du prix du pétrole tombé à 40 dollars dont personne ne semble connaître l’origine.
La plupart des experts estiment tout au contraire que le prix du kérosène s’achemine vers une phase de stabilisation. Et ce devrait plutôt être à la hausse, et non pas le contraire. L’autre inconnue, dans la mesure où c’en est une, concerne l’évolution du trafic, vue dans la globalité, qui conduit ID Aéro à entériner les prévisions à 20 ans des ténors de l’industrie. Quels que soient les critères retenus, on en revient encore et toujours à une progression maintenue à environ 5% par an. Cela en notant, sans plus, les commentaires dubitatifs entendus ici et là, par exemple ceux de l’Académie de l’air et de l’espace.
Ce vrai-faux débat a-t-il vraiment un sens ? Jacques Delys reconnaît volontiers que, dans le passé, des incidents conjoncturels ont déjà fragilisé le transport aérien, l’ont momentanément secoué mais cela sans conséquences durables. Aussitôt lissées, les courbes font apparaître une croissance annuelle moyenne de 4,9% depuis 1980 avec, ici et là, de brefs moments de «sous-croissance» et même de sur-croissance.
Dès lors, pourquoi ce doute ? Pour l’essentiel en raison d’une brusque poussée des ventes d’avions qui pourrait bel et bien constituer le point de départ d’une bulle, redoutée et dangereuse. Pour mémoire, en 2011, les ventes nettes d’Airbus et Boeing ont porté respectivement sur 1.419 et 805 avions. Un chiffre qui n’est pas représentatif pour l’avionneur américain qui a engrangé l’année dernière d’importants engagements d’achats de 737 MAX qui vont être transformés en commandes à proprement parler dans les prochaines semaines.
Parallèlement, la fragilité du secteur s’est traduite l’année dernière par 467 annulations de commandes, le record depuis plus de 10 ans. Mais, malgré cela, les calculs d’ID Aéro montrent que le carnet de commandes combiné d’Airbus et Boeing a été multiplié par trois depuis 2004, passant de 2.597 à 7.429 avions, toujours sans prendre en compte les nombreux 737 MAX non encore comptabilisés. Dans le même temps, les livraisons ont augmenté de moins d’une fois et demie.
Dès lors, la bulle tant redoutée est peut-être en train de prendre forme sous nos yeux. Mais elle ne deviendrait vraiment dangereuse qu’à condition où Airbus et Boeing ne résisteraient pas à la tentation d’augmenter leurs cadences de production et, par exemple, de tendre vers 50 monocouloirs par mois chacun. Une hypothèse qui a été envisagée, très discrètement, mais qui semble s’être évaporée. Tout au plus le rythme va-t-il être prochainement accru pour deux rivaux gros porteurs, A330 et 777.
Des interrogations apparaissent sur la capacité des fournisseurs, équipementiers et autres, à s’adapter à un tempo plus rapide. Mais ce pourrait aussi être une discrète excuse pour maintenir prudemment le status quo. Ni Airbus, ni Boeing ne voudront prendre la responsabilité de faire apparaître la bulle. Mais cette affirmation n’est pas pour autant gravée dans le marbre...
Pierre Sparaco - AeroMorning