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Sexe, cous et Sauropodes

Par Taupo


Quand on évoque les dinosaures, la description qu’on s’en fait le plus souvent c’est celle de… sacré gros bestiaux! Avec un nom qui signifie en grec ‘Terrible Lézard’, on s’imagine volontiers un adversaire pour King Kong et non un spécimen de la taille d’un pigeon (et pourtant Anchiornis huxleyi, le plus petit dinosaure, mesurait 12 cm pour 110g…) Du coup, lorsque l’on aborde la thématique de la sexualité des dinosaures, une question s’impose d’elle même: comment les plus gros dinosaures faisaient crac-crac?

D’abord, déterminons qui étaient les plus gros dinosaures. Dans cette grande classe de vertébrés, on dénombre grosso modo 5 grands groupes: des quadrupèdes herbivores appelés Sauropodes, des dinosaures bipèdes appelés Théropodes, des dinosaures à armures appelés Thyréophores, des herbivores bipèdes appelés Ornithopodes et les dinosaures à becs et souvent ornés de cornes appelés Cératopsiens.
Et bien quand on prend les spécimens les plus grands de chaque groupe et qu’on les compare en taille dans un portrait de famille (avec la silhouette d’un humain, juste pour se foutre bien les jetons…), ça donne ça:

Echelle de taille entre les 5 grands groupes de dinosaures
Choisir les plus imposants des dinosaures est donc chose facile! Les Sauropodes sont, de loin, les plus stocma… Sachant que le plus petit Sauropode jamais découvert, Ohmdenosaurus, mesurait 4 mètres de long, ça laisse de la place pour les spécimens démesurés de ce groupe de colosses… Voici par exemple les silhouettes de 6 de ces monstres: Amphicoelias fragillimus (60m), Bruhathkayosaurus matleyi (34m), Argentinosaurus huinculensis (36m), Supersaurus vivianae (34m), Diplodocus hallorum (35m), Sauroposeidon proteles (34m).

Echelle de Sauropodes


Pour bien enfoncer le clou, il suffira de savoir que les Sauropodes sont les plus grands animaux ayant jamais vécu sur la terre ferme… A l’heure actuelle, le plus long animal terrestre est le python réticulé avec pour record ses ridicules 8.7 mètres. Il n’empêche qu’on fait déjà pas trop les malins face à lui…

Python réticulé

Hormis leur écrasante surcharge pondérale, il y a une chose assez remarquable chez les Sauropodes: leur cou démesuré. Et alors que vous trépignez surement d’impatience de découvrir des histoires de cul sur les Sauropodes, vous allez devoir vous contenter, dans cette article, d’histoires de cous… (mais n’ayez crainte, un prochain article rassasiera votre curiosité malsaine).
Si nous ne parlons pas dare-dare du dard des Sauropodes, c’est que, dans le monde animal, la reproduction ne commence pas illico par le coït! Vous croyez quoi? Que dans un troupeau de Diplodocus, un mâle pourrait simplement choisir sa partenaire et l’enfiler aussi sec, au vu et au su de tous les autres mâles? C’est mal connaître le monde des mâles du monde animal… Qui veut jouer à frotti-frotta avec ses dames, se frotte inéluctablement à la compétition avec ses congénères!

La question que je veux donc explorer avec vous est la suivante: le long cou des Sauropodes a-t-il joué un rôle dans la compétition entre les mâles? Question saugrenue de prime abord, mais ne vous êtes vous jamais demandé pour quelle raison les sauropodes possèdent un si long cou?

Prenez la girafe (métaphoriquement, car pesant près d’une tonne, vous aurez du mal à la soulever…). En terme de cou, il est de notoriété publique que les girafes en possèdent de si longs qu’il ne serait pas recommandable pour elles de choper un torticolis. Si l’on vous demande maintenant de discuter de l’origine de ce cou disproportionné, fort est à parier que vous allez évoquer une pression de sélection ayant joué sur la survie des ancêtres girafes en rapport à la disponibilité de feuilles grasses et nutritives sur de hautes branches d’arbres.
J’en avais parlé précédemment, le premier à imaginer un scénario pour expliquer l’origine du long cou des girafes, c’est Lamarck qui postula que si on prend l’espèce ancestrale de la girafe, une espèce au cou de petite taille, les individus de cette espèces qui cherchaient à manger les feuilles les plus hautes des arbres étendaient légèrement leur cou et transmettraient finalement ce caractère à leurs descendants. Et au fil des générations, ce caractère se serait exacerbé jusqu’à donner les cous invraisemblables des girafes actuelles.

Scénario de l'élongation progressive du cou des girafes selon Lamarck

Selon Lamarck, pour résumer, les espèces acquièrent de nouveaux organes, les modifient ou en perdent pour s’adapter au milieu dans lequel ils vivent, puis transmettent ce caractère à leur descendance. C’est cool mais ça ne reflète pas ce qui se passe en définitive dans la nature. S’il y a bel et bien transmission de caractères dans la nature, cette hérédité ne concerne pratiquement jamais les caractères acquis durant la vie d’un organisme.

C’est Alfred Wallace (et non Charles Darwin comme la plupart des gens le pense) qui fut le premier à proposer un scénario sur l’origine du long cou des girafes à partir de la sélection naturelle (ce qui ne veut pas dire que Darwin n’a pas émis l’hypothèse de la sélection naturelle avant Wallace, hein! C’est juste que Darwin n’a pas parlé du cou de la girafe dans la première édition de son œuvre, c’est tout…). L’idée est simple: au sein d’une population de girafes ancestrales, il existait vraisemblablement des individus possédant des cous de longueurs variables (comme il existe, dans une population d’humains, de grands et petits individus…). Dans leur environnement particulier, les individus ayant un cou légèrement plus grand que la moyenne avaient probablement un accès exclusif au feuillage situé à une hauteur inatteignable par les autres herbivores. Ceci a peut-être constitué un avantage pour la survie et la reproduction… et donc la transmission de ce caractère de cou légèrement plus grand. En imaginant que cette pression de sélection soit maintenue sur plusieurs générations, on arrive facilement, en suivant ce scénario évolutif, à des girafes au long cou:


Scénario de l'élongation progessive du cou des girafes selon la sélection naturelle

C’est un scénario simple et séduisant mais cela ne garantit pas qu’il s’agisse d’un scénario réaliste. En effet, tout en restant dans le cadre de la théorie de l’évolution, d’autres scénarios peuvent être avancés pour expliquer l’origine du long cou des girafes. Mais pour envisager cette hypothèse alternative il faut en savoir plus sur le comportement de ces braves bêtes. D’une part, il faut savoir que les girafes actuelles broutent plus volontiers du feuillage à hauteur conventionnelle et d’autre part, il existe, chez les girafes mâles une utilisation assez spécifique et brutale de leur long coup: le neck fighting! En effet, les mâles s’assènent des gros coups de cous lorsqu’ils veulent déterminer qui sera le mâle dominant du troupeau et qui aura donc accès à plus de femelles.

Version soft, le necking est une pratique qu’emploie les girafeaux mâles dès leur adolescence et ça donne ça:


Version Ultimate Necking, les girafes adultes se donnent de sérieux coups de cervicales, utilisant en plus leurs ossicônes (des appendices osseux crâniens qui ressemblent à de petites cornes et qui sont aussi durs que de l’ivoire) pour s’infliger de vilains dommages. Le Necking version barbare, ça donne donc ça:


Tout de suite, ça calme. Ces combats peuvent être violents au point de causer la mort d’un des adversaires…

Girafe mâle tué par un combat de necking

Ces deux observations sur l’emploi du cou des girafes ont mené Robert Simmons et Lue Scheeper à émettre, en 1996, l’hypothèse que leur taille démesurée pouvait trouver leur origine dans un processus de sélection sexuelle. Ici, la variation initiale dans la taille du cou de certains individus n’aurait pas joué un rôle dans la survie, mais dans la capacité à se reproduire: les mâles au long cou, dominent une population et transmettent ce caractère à leur descendance. Ce biais devient critique si, de leur côté, les femelles préfèrent les mâles au long cou. On obtient ainsi une spirale sélective qui, au fil des générations, mène à un caractère exacerbé, à l’image de la roue du paon, des bois de l’élan ou encore des défenses du morse.

Inutile de vous dire que cette hypothèse n’est pas tombée dans l’oreille de paléontologues sourds. “Un scénario pour l’émergence de bestioles à long cou?” s’exclama Phil Senter en 2007, “Pourquoi ne pas l’adapter à l’émergence des cous de malades que possèdent les sauropodes?” C’est vrai qu’en terme de cou, la girafe fait quand même peine à voir dans le diagramme suivant:

Diagramme représentant la taille des cous de quelques sauropodes... et une girafe, Taylor et al. (2011)

Il est vrai que pour expliquer la taille des cous des Sauropodes, un scénario de sélection par pression sur broutage, à la Wallace, a très vite conquis les cœurs de la majorité des paléontologues, menant à des représentations des immenses quadrupèdes en train de brouter des arbres tout aussi gigantesques:

Sauropodes broutants, par Greg Paul

Cependant, si on utilise l’hypothèse de Senter, il est envisageable que la sélection sexuelle puisse aussi mener à ce caractère extrême. Du coup, on pourrait aussi imaginer les sauropodes mâles en train de se foutre des tatanes de cous ou se jauger pour établir la dominance, un peu comme ici:

Sauroposeidons mâles se jaugeant, Brian Engh

Mais bon, c’est bien beau de formuler des hypothèses, mais est-ce qu’on ne peut pas un peu creuser la question en étudiant attentivement les fossiles pour discriminer entre les deux alternatives.
Pour commencer, on pourrait se demander si les sauropodes pouvaient lever le cou. Là encore, deux écoles s’affrontent: l’une postule que les conditions physiologiques, notamment la pression artérielle, interdit tout mouvement vertical du cou (grosso modo, c’est le coma assuré, le cerveau ne recevant plus de sang dès que l’animal lève la tête), l’autre assure que les conditions anatomiques observées chez les oiseaux et crocodiles, notamment en terme de flexibilité, permettraient aux sauropodes des mouvements amples de la nuque. Vous le voyez, les écoles ne s’affrontent pas vraiment sur le terrain de l’autre et le débat semble en stase… Cependant, de récentes publications suggèreraient qu’un système d’artères pulsatiles suffirait à assurer l’irrigation du cerveau… Reste à savoir si l’on peut jamais découvrir leur existence chez les Sauropodes (les artères, tissus mous, se fossilisent peu).
Remarquez, de toute façon, que les sauropodes aient le cou élevé ou à l’horizontale, ça ne permettait pas vraiment de discriminer entre les deux scénarios évolutifs: un sauropode au cou à l’horizontale peut avoir un avantage sélectif si celui-ci est long car il pourrait brouter un large terrain sans bouger le reste du corps et donc économiserait de l’énergie. De même, la taille du cou à l’horizontal pourrait être sélectionnée sexuellement par un attrait des femelles pour les longs cous, des combats à l’horizontale ou bien encore une comparaison du cou sans élever la tête (à base de c’est moi qui est le plus gros, alors cherche pas des mouises… )
Quand Phil Senter a émis son hypothèse sur l’origine du long cou des Sauropodes par sélection sexuelle, il l’a étayée de 6 prédictions dont voici quelques exemples: dimorphisme sexuel entre les cous de sauropodes mâles et femelles, croissance du cou menant à un risque quant à la survie face à la prédation, ou encore l’absence de bénéfice du long cou pour augmenter la quantité de feuillage brouté face aux autres herbivores. Il s’avère que ces arguments furent assez facilement réfutés dans un récent article de Mike Taylor, Dave Hone, Matt Wedel et Darren Naish. Selon eux, Senter n’accordait pas assez d’importance à la quantité de broutage potentiellement récoltés par un Sauropode statique, il n’avait pas non plus pris en compte les traces d’attaques de prédateurs dans les collections de fossiles (les marques de prédation sont essentiellement retrouvées sur des spécimens jeunes), et les dimorphismes sexuels sont quasiment impossibles à tester sur les spécimens fossiles… Ces auteurs ajoutent également un argument conséquent: si la sélection sexuelle joue parfois un rôle sur l’émergence de structures particulières chez certaines espèces, il est quasi impossible que celle-ci maintienne une pression forte sur ce caractère supposé néfaste à la survie pour un groupe de centaines d’espèces différentes de dinosaures ayant parcouru la terre pendant près de 150 millions d’années (et en trouvant un argument aussi dévastateur, je pense que les auteurs ont du secrètement désirer ajouter ‘bouya, mange ça dans ta gueule!’ dans leur manuscrit…) 

Bref, ça sent pas bon pour le scénario de sélection sexuelle. D’autant plus que, soit dit en passant, alors que Senter s’était inspiré d’un scénario semblable à l’origine du cou des girafes, plusieurs articles ont depuis accumulé des observations qui vont à l’encontre d’un tel scénario chez nos mammifères au long cou: il semble que le long cou des girafes constitue bel et bien un avantage sélectif pour la consommation des feuillages! Les auteurs Elissa Cameron et Johan du Toit ont par exemple démontré que les girafes sont en compétition féroce avec d’autres herbivores pour tout feuillage poussant à moins de 2 mètres 50 du sol et qu’en présence de cette compétition, le feuillage perché a plus de 4 mètres leur était une option salutaire. Finalement, ce n’est pas tant pour manger exclusivement des feuilles hautes que le long cou des girafes leur est utile, mais pour avoir le choix de manger les feuilles à la hauteur où celles-ci sont disponibles! Qui plus est, des fossiles de giraffidés suggère que l’émergence de leur long cou correspondrait bel et bien à un bouleversement climatique ayant eu lieu il y a 14 millions d’années et ayant favorisé l’étendue des prairies sur les forêts.

Girafe qui broute les feuilles du haut

Dur, dur… Est-ce que cela signifie donc qu’on peut tirer un trait sur nos Sauropod Ultimate Necking Championship? Ne perdez pas si vite espoir! Ce qu’il faut comprendre dans toutes ces controverses, c’est que les chercheurs s’affrontent sur l’origine de l’émergence du long cou chez les sauropodes. Ceci dit, une fois les espèces dotés d’un long cou, rien ne les oblige de les employer comme un outil mono-tâche! A dire vrai, les girafes utilisent bien leur cou pour une pléthore de fonction: broutage, combat entre mâles, combat contre prédateurs, outil de guet, etc… Encore mieux! Les girafes ne sont pas les seules à utiliser leur cou pour brouter et se friter. Il est temps de vous présenter une autre espèce, moins célèbre, et pourtant caractérisée par un cou démesuré: la tortue géante du galapagos!

Chelonoidis nigra abingdoni

Chelonoidis nigra abingdoni

Chelonoidis nigra en combat


Ces tortues, comme les girafes, déploient leur long cou pour se bâfrer et se castagner. Et il est fort à parier que c’était le cas pour cette espèce aujourd’hui éteinte: Cylindraspis vosmaeri

Cylindraspis vosmaeri

Du coup l’observation de ce double emploi cervical permet plus facilement d’imaginer que parmi certaines espèces de sauropodes, au moins quelques mâles ont pu entrer en compétition en utilisant leur cou pour assurer leur domination. Reste à trouver des traces de ces formidables combats sur les vertèbres cervicales des fossiles…

Conclusion: la science, c’est souvent frustrant! Mais de tous les scientifiques, c’est peut-être au paléontologue à qui le comble revient lorsque pour enfin savoir s’il a raison ou pas, la seule chose qu’il lui reste à faire, c’est de continuer de creuser…

A demain pour découvrir les compétitions entre mâles chez les Triceratops!

Liens:
Articles Tetrapod Zoology: 1, 2, 3
Article Dinosaur Tracking: 1 et 2
Article Laelaps
Article Archosaur Musings
Article SV PoW

Références:
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