Paul Celan
Comme franchies la stridence,
la grille,
et sur la dalle de nulle part
fermant les yeux –
la parole, de silence comblée,
résonne plus bas. Il vient
traversant l’essaim du désastre
faisant corps avec la nui.
Dans l’abrupte
l’étroite
gorge du jour se levant
mais le souffle secouru
par la neige, il se détache, là,
comme si le souffle encore
attaquait de nouvelles parois
|○|
Par un détour, sa parole,
lui, le plus exposé,
sur cette pente, précisément cette pente,
il vient de toucher de l’ongle
une fleur qui se rétracte – et se multiplie…
Décorporée sa passion, à la fourche du chemin,
jusqu’à casser le sens, non la fleur,
pour un recueil de rosée
Un cœur dans le cœur comme une pierre
d’éboulis refroidie au soleil,
une autre voix, du lointain
à tout autre visage accordée –
pierre et voix soustraites
à jamais soustraites à la numération
des mots meurtriers.
|○|
Unisson de la blessure
et des plantes amères
où se noue et glisse
une cordée d’espace,
son souffle tire, le souffle du roncier –
une lampe saisie de frayeur
jusqu’à nous se hisse
avec ce qu’a rompu l’incantation
balbutiante, la lumière –
tire un corps de la contre-parole,
un visage lisse après l’ouragan
Risque de chaque mot, vrille
de chaque mot contre soi retournée,
si près de l’obscur
qu’il en touche le fil et la faille
et la voix presque de silence
sous le halètement de la chimère.
Jacques Dupin, M’Introduire dans ton histoire, P.O.L. 2007, pp. 159, 160 et 161.
Jacques Dupin dans Poezibao :
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