Quand les gros profits frappent à la porte, l’éthique et la morale s’enfuient par la fenêtre tandis que la corruption et la magouille s’installent. Je vais essayer d’apporter un autre type d’éclairage sur les scandales qui frappent de plein fouet la multinationale de génie conseils SNC-Lavalin depuis quelques semaines et qui menacent la survie même de l’entreprise.
Il y a encore quelques mois, voire quelques semaines, on parlait encore de SNC comme un des fleurons de l’entrepreneuriat québécois, un exemple parfait de la réussite du génie québécois au Canada comme à l’international. En 2008, elle était considérée comme la plus grande entreprise d'ingénierie au monde. Elle comptait alors à ce moment 4500 employés au Québec et 16 000 dans le monde, dont 1052 ingénieurs québécois, pour un chiffre d'affaire de 5,2 milliards de dollars canadiens
Un fleuron en eaux troubles
Subitement, dans la foulée du déclin de l’empire Khadafi, un grand client de SNC Lavalin, des squelettes se mettent à sortir du placard, des affaires louches se mettent à pleuvoir, emportant même comme dans une vague scélérate le PDG de l’entreprise Pierre Duhaime. Nous apprenons que l’entreprise ne lésinait pas sur les moyens pour décrocher d’imposants contrats lucratifs : soutien au régime dictatorial de Khadafi, fraude et malversations comptables, etc. Des actionnaires en ont marre, ils se sentent trompés et décident même d’intenter un recours collectif contre l’entreprise. L'action de la compagnie a dégringolé de 20%. Une belle façon de se tirer dans les pieds.L’entreprise a même commis l’ultime odieux de décrocher le contrat de construction de la prison de Gharyan, et défend sa décision controversée en expliquant que la prison serait la première du pays à répondre aux plus hautes normes internationales de respect des droits de la personne. Elle est bonne celle là. C’est comme si le défunt Guide de la révolution libyenne, dans un élan de générosité, avait décidé de construire une prison 5 étoiles à ses opposants pour des vacances à vie. Quoi de plus normal de voir une respectable entreprise comme SNC-Lavalin participer à une œuvre aussi charitable.Ok. Maintenant nous le savons tous, SNC-Lavalin n’est pas une sainte entreprise, elle a déconné, traficoté. Elle semble, de toute évidence, gangrenée, malade. Mais, il faut faire attention de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain et détruire un fleuron qui a créé des milliers d’emplois et bâti une partie du Québec d’aujourd’hui avec son génie. Trouver une thérapie de choc pour soigner la malade est certainement préférable à une euthanasie.Naiveté ou hypocrisie ?SNC Lavalin mène des affaires d’or dans des pays reconnus pour être des laboratoires de la corruption et tout le monde s’étonne aujourd’hui qu’il y ai eu des dépenses louches pour graisser des pattes à des intermédiaires dans ces pays. Sérieusement, il y en a qui croyait vraiment que tous ces contrats mirobolants qui ont fait de SNC Lavalin l’une des entreprises québécoises les plus rentables et les plus réputées à l’international, sont tombés du ciel comme par enchantement ? Croyait-on sérieusement que les contrats obtenus en Lybie depuis des années sont octroyés à l’entreprise à l’issue de processus commerciaux irréprochables sur le plan éthique? Mais voyons, tout le monde le sait dans le monde du commerce international que pour obtenir de gros contrats lucratifs, ce n’est pas aux saints services du Pape Benoit VXI qu’il faut faire appel mais à ceux d’intermédiaires locaux (à des «agents» ou «représentants commerciaux») très hauts placées, poches du milieux de pouvoir et de décision. Ces intermédiaires qui sont en réalité des bras corrupteurs des multinationales chargés de nourrir toute la chaine de corruption en distribuant des pourcentages du gros magot à tous les acteurs intervenant dans le processus d’octroi de contrats. Cherchez-vous encore des explications à toutes ces manœuvres frauduleuses chez SNC Lavalin : tripatouillages comptables, contournement des chaines de commandement, 56 millions US de paiements douteux, violation du code éthique, etc.? Ce qui est drôle, c’est que tout le monde feint la surprise dans cette histoire à commencer par les actionnaires et les membres du conseil d’administration de l’entreprise. C’est comme si tout d’un coup, nous venons de découvrir qu’un mari réputé fidèle, trompait en réalité sa femme depuis des lustres. Et pourtant…..SNC-Lavalin évolue dans un monde de loupsLes manœuvres de grande corruption font partie intégrante du commerce international depuis plus d’un siècle et les grandes entreprises occidentales, notamment européennes, ont beaucoup contribué à en peaufiner les stratégies et à amplifier la gourmandise des dirigeants des pays en développement en la matière.En effet, il n’y a pas si longtemps, il n’était pas rare de voir une entreprise américaine ou européenne payer « une commission » à des responsables étrangers afin de décrocher des contrats dans certains pays pas très regardants sur les affaires de corruption.Malgré la création par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques) en 1997 de la Convention contre la corruption visant à criminaliser cette pratique, les choses ne semblent pas avoir beaucoup changé. Selon un rapport publié récemment par Transparency International , un tiers seulement des 38 pays signataires l’appliquent activement. Parmi les bons élèves, on peut citer les États-Unis qui se placent en tête en terme d’enquêtes en cours et de personnes et entreprises condamnées, loin devant des pays comme la France où l’ONG s’inquiète de « l’efficacité des enquêtes anticorruption », car « sur les 8 affaires ouvertes l’an dernier, une seule aurait abouti à une condamnation, tandis que les autres ont apparemment été classées sans suite », souligne le rapport. Même le Canada n’a engagé qu’une seule poursuite depuis 1999, date de la promulgation de sa loi sur la corruption transnationale, indique le rapportPlusieurs affaires de corruption transnationale ont été médiatisées ces dernières années. Le géant allemand des télécommunications, Siemens, a été accusé au Nigeria en 2010 par la Commission contre les crimes économiques et financiers (EFCC) d’avoir payé 17,5 millions de dollars de pots-de-vin à des responsables gouvernementaux dans ce pays pour obtenir des contrats entre 2001 et 2004, dont un responsable de l’immigration, un sénateur et quatre anciens ministres des télécommunications. En février 2009, les sociétés américaines spécialisée dans l’exploitation pétrolière, Halliburton (qui a eu pour PDG de 1995 à 2000, Dick Cheney, l’ancien vice-président américain sous l’administration Bush) et Kellogg Brown & Root (KBR) ont accepté de verser 579 millions de dollars au gouvernement fédéral nigérian après avoir plaidé coupables de corruption. Elles avaient, selon le ministère américain de la Justice, « versé pendant 10 ans des pots-de-vin à des responsables du gouvernement nigérian afin d’obtenir des passations de marchés et des contrats de construction et d’ingénierie ». Elles ont notamment remporté des contrats de plus de 6 milliards de dollars entre 1995 et 2004 afin de construire une usine de gaz liquéfié pour le compte de la compagnie Nigeria LNG LtdEn Afrique francophone, les multinationales francaises ne lésinent pas sur les moyens pour écarter la concurrence et s’accaparer de facon systématique de tout le marché des gros contrats publics. Les « belles langues » disent même que la grande majorité des dirigeants africains ont appris les rouages et les meilleures stratégies de corruption auprès des dirigeants francais. Le tristement célèbre tandem « France-Afrique » a roulé pendant dans des decennies sur une autoroute parsemée de corruption, de pratiques occultes, de traffic d’influences, d’assassinats, etc. La corruption est tellement ancrée dans les pratiques commerciales que des responsables politiques francais n’hésitent pas à appuyer et conseiller les entreprises sur commencer emprunter avec succès ces dédales obscures et sinueuses. Aucun président francais ne peut se vanter de ne pas avoir profiter des largesses des dirigeants africains. De Valéry Giscard d’Estaing à Nicolas Sarkosy, en passant par Francois Mitterand et Jacques Chirac, leurs compagnes électorales ont été souvent financées par l’argent de la corruption issues des bonnes affaires entre les multinationales francaises comme Total, Bouygues, ELF, France Télécom, Bolloré, et les dirigeants des pays africains francophones. Les entreprises canadiennes ne veulent plus jouer aux agneauxLes entreprises canadiennes sont arrivées un peu tardivement sur le marché lucratif des contrats dans le pays en développement n’ayant pas toute l’historique de proximité et l’expérience des pays européens ex-colonisateurs. Il semble que c’est maintenant du passé, la période où les entreprises canadiennes s’embarassaient des questions d’éthique et de déontologie qui ralentissaient leur progression par rapport aux concurrents. Il y a quelques années, dans une discussion informelle avec la responsable de la coopération canadienne dans un pays africain, elle reconnait timidement que la principale faiblesse des entreprises canadiennes à l’international, c’est de vouloir se comporter comme des agneaux dans un monde dominés par des loups. Soit, elles affrontent les concurrents à armes égales ou elles « décalissent » du marché.Pourquoi SNC Lavalin se priverait-il des « contrats de sang** » (au détriment des droits de la personne et du bien-être des populations) comme celui du projet controversé de la Prison de Gharyan alorsque l’entreprise est consciente qu’elle court très peu de risques de se faire poursuivre au Canada pour ses dérapages dans des pays étrangers ? Le Canada n’a engagé qu’une seule poursuite depuis 1999, date de la promulgation de sa loi sur la corruption transnationale selon le rapport de Transparency international sur l’application de la Convention contre la corruption adoptée par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) en 1997.Affronter la concurrence à armes égalesJe n’approuve pas les pratiques sordides des multinationales à l’étranger et surtout dans les pays en développement. Je trouve également déplorable le copinage de SNC Lavalin avec des dictateurs sanguinaires comme Khadafi qui n’hésitait pas à assassiner ses propres citoyens pour des intérêts de son clan, mais il faut remettre les choses dans leur contexte. Je trouve surtout ridicule cette naïveté ou plutôt cette hypocrisie médiatique généralisée. Le scandale « SNC Lavalin » est traité comme si nous venons de découvrir subitement que cette entreprise, présentée comme un modèle de réussite, utilisaient des pratiques louches et faisait affaire avec des régimes peu recommandables. Et Pourtant, il n’y a rien de spécial et de nouveau à l’horizon. Si le régime de Khadafi n’était pas tombé, on n’entendrait probablement même pas parler des pratiques condamnables de SNC Lavalin.Avant de jeter la pierre à SNC-Lavalin, rappelez-vous tout simplement que son cas n’est pas unique et mieux c’est de cette façon là que les affaires marchent sur cette planète. Une fois, hors du pays, les règles de jeu ne sont plus les mêmes pour les entreprises canadiennes qui doivent choisir entre le développement des affaires dans la corruption ou sacrifier des contrats pour des raisons d’éthique et de morale. La corruption reste encore l’arme de négociation massive malgré des efforts d’organismes internationaux comme Transparency International pour lutter contre le phénomène.