Portrait de femme : Adieux à la Reine, Marie-Antoinette

Par Memoiredeurope @echternach

« Vaux, énorme échec pétrifié; mais ce n'est pas l'échec d'un fou, ce fut le décor d'une réussite parfaite, qui n'a duré qu'une seule soirée, celle du 17 aout 1661. » Ecrit Paul Morand dans « Fouquet, ou le Soleil offusqué ».

On sait que Louis XIV, aidé de complices au plus haut niveau, comme Colbert, exécute sans remords celui qui, sans le savoir, va lui apporter le modèle de l’écrin épousant parfaitement le modèle de société qui va se structurer à Versailles. Dans des jardins programmatiques fondés sur une anamorphose, lors de fêtes aux décors temporaires sans cesse renouvelés, dans la création de labyrinthes italianisants, comme au fil d’un Grand canal traversé de gondoles vénitiennes ou dans le surgissement de feux d’artifice alternant de jeux d’eaux, une société de cour, aux fastes et cérémoniels chaque jour mieux élaborés met en place un ensemble de planètes qui gravitent autour du soleil et se consument dans ses rayons dangereux.

Au-delà du jardin, dans les bois et les champs, il ne s’agit plus d’un jeu, mais d’une grande collecte d’impôts permanente. Là-bas, vivent un ensemble d’individus un peu sauvages qui ne prennent de sens que s’ils se révoltent. Les Camisards en sauront quelque chose. Et encore plus au-delà, une fois franchies des frontières dangereuses qu’il faut tenter de repousser, le Roi considère un échiquier géopolitique où la science des batailles et des places fortes peut dialoguer par moment avec des alliances maritales.

Le monde se présente comme une étendue vectorisée par le pouvoir absolu, où la culture, au sens moderne et anachronique du terme (mais il s’agit bien alors plutôt d’un jeu social décoratif) s’instrumentalise totalement au service de la célébration, mais laisse tout de même la place à la métaphore, à la poésie et aux modèles du théâtre antique en élaborant un répertoire qui nous touche encore aujourd’hui.

Le Roi est le premier acteur d’une grande fête baroque dont les décors, des habits aux sculptures, par l’art décoratif partout présent et la structure architecturale centralisée, permettent de jouer la plus luxueuse pièce de théâtre du monde. Monarque absolu, modèle absolu.

C’est l’évocation de ce monde-là qui attire encore aujourd’hui des millions de visiteurs dans l’Ouest de la banlieue parisienne, au bout d’une allée d’arbres, devant les grilles redorées d’un château mythique.

Dans le film de Benoît Jacquot, issu d’un roman de Chantal Thomas, nous nous situons une centaine d’années plus tard, entre le 13 et le 16 juillet 1789. Inutile de dire, que si le décor et le mode de vie semblent intacts, le monde extérieur a totalement changé. La vie s’est accélérée. Elle ne s’est pas mondialisée, en tout cas, pas pour la population paysanne. Les épreuves de force entre Etats, Empires, Duchés sont les  mêmes et les politiques d’alliance, toujours aussi indispensables, même si le théâtre de la guerre, pour le Royaume de France, a changé temporairement de continent. Mais  dans l’ensemble du pays, la conscience individuelle et la conscience de classe dira-t-on plus tard, est devenue une réalité.

Les artistes ont eux aussi subi une mutation : créer veut souvent dire philosopher, donc dénoncer, railler, reconsidérer le modèle du meilleur des mondes possibles. Ce monde extérieur qui, de temps à autre, se manifestait comme conscience religieuse bafouée, est devenu un grand corps fiévreux de son désir d’exister, un grand corps enragé qui souhaite vivre par lui-même et pour lui-même. Plus de tête unique, mais des humeurs, des sentiments, des pensées, des consciences dispersées, une circulation sanguine, des échanges.

Il faudra donc faire tomber la tête. Il faudra faire la Révolution.

Une cour dessinée pour un homme, entouré d’hommes qui le célèbrent, le défendent, le nourrissent, l’habillent et où les femmes participent du décor, est devenue par le jeu des mariages et la faiblesse d’un successeur, une cour structurée par la haine pour une très jeune femme qui tente de s’isoler à la périphérie, en quittant le centre pour le petit Trianon pour y jouer une autre partition, celle de l’innocence rousseauiste.

Elle sait s’entourer comme un homme, de favorites plus belles les unes que les autres, chattes précieuses et luxueuses, d’y écouter la lecture d’une autre jeune femme innocente et fascinée, simplement pour passer le temps et trouver une accroche dans l’imaginaire. Elle devient chaque jour un peu plus prescripteur de mode, faute d’être prescripteur d’urbanisme et Madame Bertin l’y aide de manière somptueuse et coûteuse. Elle tente de diriger contre ce qu'elle pense une révolte, des troupes qui ne sont cependant plus que de parade. Elle fait tourner et elle déboussole des têtes qui vont bientôt tomber avec la sienne. Elle comprend avec retard qu’elle ne sera plus qu’une citoyenne comme les autres, mariée à un citoyen comme les autres et qu’elle n’aura d’autre solution que de se dissoudre dans le corps entier ou de jouer enfin son rôle. C’est alors qu’elle revient courageusement au centre, avec ses enfants, mère et reine, dans le premier pays européen qui bascule dans la modernité des Droits de l’Homme et inaugure la polycentrie du pouvoir. Elle y prend la place de l’agneau mystique et devient pour l’histoire, une icône et un symbole.

Voilà de fait ce que raconte Chantal Thomas et ce que filme Benoît Jacquot, en profitant du regard fasciné, intelligent, troublé et perspicace de la lectrice de la Reine. Une jeune femme « moderne », si je peux utiliser ce terme, orpheline libre d’elle-même, qui sait aussi bien broder que lire, se dévouer que juger, s’aveugler que se sacrifier. Elle pourrait être princesse, elle pourrait devenir philosophe et elle est la confidente de l’historien du Roi. Elle ne sera en fait que le jouet des femmes.

La grande réussite de ce film est justement de montrer ce faste juste au moment où les morts vivants qui ont continué à jouer la pièce inaugurée par le Roi Soleil, dans un halo de parfums qui masque l’odeur de pourriture, ne savent pas qu’ils sont déjà morts. Des gnomes, des caricatures qui se griment pour quelques minutes de prestige et retournent ensuite dans des cellules délétères puantes et peuplées de rats. Ils vont s’enfuir dans le désordre, comme les rats qui les entourent.

Il est aussi de montrer l’ensemble des rouages nécessaires au fonctionnement de cette mécanique devenue vaine : servantes et lingères, dames de compagnie et couturières, prêtres et soldats d’apparat, gondoliers et amants de passage, porte chandeliers et porte pots de chambre.

Le seul luxe qui persiste vraiment est celui des tissus qui sont omniprésents, comme intangibles puisque renouvelés à chaque sursaut de la mode. La cour bruit ainsi de soieries froissées et de ragots mal contrôlés.

« On a toujours habitué mes enfants à avoir une grande confiance en moi, et quand ils ont eu des torts, à me le dire eux même, cela fait qu'en les grondant j'ai l'air plus peiné et affligé de ce qu'ils ont fait que fâché ; je les ai accoutumés tous à ce qu'un oui ou un non prononcé par moi est irrévocable, mais je leur donne toujours une raison à la portée de leur âge, pour qu'ils ne puissent pas croire que c'est humeur de ma part. Mon fils ne sait pas lire et apprend fort mal ; mais il est trop étourdi pour s'appliquer, il n'a aucune idée de hauteur dans la tête, et je désire fort que cela continue. Nos enfants apprennent toujours assez tôt ce qu'ils sont. »

Derrière l’icône, une mère se confesse, que la prison n’arrivera pas à briser.