En Espagne, pays déjà durement frappé par la crise, un projet de Las Vegas à l’européenne est peut être sur le point de voir le jour sur fond de brutalité économique, de recul des droits sociaux et de désengagement national sur certaines questions d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Alors que le site potentiel reste incertain, partagé entre Madrid et Barcelone, le milliardaire américain Sheldon Adelson (président et actionnaire principal de la société Las Vegas Sands à l’origine du projet) a récemment transmis aux autorités espagnoles un certains nombre d’exigences afin de faciliter la création de son complexe dédié aux jeux. Une démarche qui pourrait remettre profondément en cause la manière de mener à bien des projets de territoire en Espagne et concourir au développement de zones de non droits notamment en matière de règles d’urbanisme.
Un projet aux dimensions et aux retombées miraculeuses
Avec un investissement direct de 17 milliards d’euros et à la clef la possibilité de créer, directement ou non, 260 000 emplois, EuroVegas apparaît symptomatique de ces projets colossaux et souvent inutiles qui ont aggravé les conséquences de la crise en Espagne. Enième mirage dans un pays ou le taux de chômage dépasse les 20% de la population active (23,3% au mois de janvier) et ou la chute de l’immobilier a contraint des centaines de milliers de ménages à s’appauvrir, le projet représente néanmoins pour une majorité des responsables politiques locaux, une réelle opportunité d’un retour à la croissance comme le précise le Figaro :
« En désespoir de cause, les responsables politiques se prêtent à tous les jeux des investisseurs. Quitte à prendre un projet encore flou pour un véritable relais de croissance. Quitte à oublier qu’il y a cinq ans, une idée similaire avait suscité le même enthousiasme en Aragon, avant que les promoteurs ne fassent brusquement machine arrière. »
Il faut dire que le projet, semblable voire identique aux zones de jeux déjà créées par Las Vegas Sands à Singapour ou à Macao, a de quoi faire saliver les politiques et les entrepreneurs du btp. Une version européenne de la capitale mondiale du jeu, sorte de Disneyland pour retraités et fans inconditionnels de machines à sous qui devraient au final s’accompagner par la création de 36 000 chambres d’hôtel, de trois terrains de golf, de centres commerciaux et d’une salle de spectacles/conférences de 15 000 places.
Une mise en compétition exacerbée des territoires
Derrière le projet pharaonique de Sheldon Adelson, les tensions entre les deux rivales, Madrid et Barcelone, semblent refaire surface. A l’instar de la place qu’elles occupent dans le milieu du football, les voilà se disputant, comme le Real ou le Barça pourraient le faire à coups de millions pour un joueur, les faveurs de l’investisseur américain. Et Ron Reese, directeur de la communication de Las Vegas Sands de préciser :
« …les deux villes «sont à égalité». Le projet, […] ira à celle qui se montrera la plus flexible. »
Alors que Las Vegas Sands semble jouer sur une mise en compétition exacerbée des territoires, cherchant à tirer de sa démarche et de l’attente qu’elle instaure entre les deux métropoles, un maximum d’avantages, Sheldon Adelson a récemment entrepris de remettre aux autorités espagnoles, une liste contenant ses propres conditions d’exercice et de droits dans le cadre de l’implantation du projet EuroVegas.
Vers la création d’une zone de non droits urbains ?
En dehors des réclamations concernant une possible exemption de cotisations sociales et la mise en place de ristournes fiscales sur le projet, le président de Las Vegas Sands entreprend au travers de ses revendications, la déconstruction méticuleuse, non seulement du droit du travail (assouplissement des conventions collectives relatives aux secteurs professionnels présents dans le complexe de casinos, création d’un régime spécial à l’accélération de l’obtention d’un permis de travail pour les étrangers, etc.) mais également du droit et de certaines règles en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire.
A ce titre, le journal El Pais reprenait en fin d’année dernière les exigences du milliardaire comme autant de présupposés en matière d’infrastructures, d’urbanisme, de réglementation et de fiscalité territoriale nécessaire à l’établissement du projet. Une longue liste au sein de laquelle figurait entre autre l’engagement des autorités espagnoles à supprimer toutes règles d’urbanisme sur site, y compris certains critères de construction afin que le groupe puisse disposer de toute latitude pour aménager son complexe.
Loin de poser un quelconque problème, ces prétentions ont été, dans leur globalité, accueillies avec une certaine bienveillance tant à Madrid d’ailleurs, qu’à Barcelone, nous rappelle le Figaro :
« Ces exigences exorbitantes semblent n’indisposer aucun responsable politique. À Barcelone, on rappelle que le projet doit attirer 11 millions de visiteurs. «Un tourisme de qualité», croit savoir le président de la Catalogne, Artur Mas. »
« À Madrid, c’est le chiffre de 260.000 emplois qui donne le tournis: il représente la moitié du nombre de chômeurs de la région. La présidente du gouvernement autonome, Esperanza Aguirre, a promis d’effectuer «toutes les modifications légales nécessaires, tant qu’elles ne violent pas [ses] principes ». »
Dans les faits le projet EuroVegas, dont Las Vegas Sands devrait annoncer la faisabilité avant l’été, illustre bien les stratégies en cours dans certaines régions touchées par la crise ou le repli du pouvoir et les compétences de l’Etat laissent peu à peu la place à de nouveaux acteurs du territoire et notamment aux très grandes entreprises.
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