Dans les arts, la famille de Crécy est prolifique. L’aîné, Nicolas, officie avec talent dans la bande dessinée alors que le cadet, Etienne, s’est illustré dans la musique électronique. Ce dernier a par ailleurs su avec brio mettre à contribution ses deux benjamins, Geoffroy, l’artiste 3D, et Hervé, le graphiste, pour promouvoir ses albums (pochettes, affiches et clips), associant ainsi durablement la recherche visuelle et graphique à son univers musical, à l’instar d’un groupe plus récent Justice. Intéressons donc nous à la partie graphique de la fratrie…
Geoffroy de Crécy, un univers 3D singulier
On est récemment retombé avec plaisir sur les clips en 3D d’Etienne de Crécy pour l’album Tempvision. Derrière ces petits bijoux, on retrouve Geoffroy de Crécy, qui avait déjà fait ses armes dans la 3D comme créateur de décor de jeux vidéo au sein d’Ubisoft .
Il passe à l’animation au travers de 3 clips, « Am I wrong ? », « Scratched » et « Tempvision »; on y suit un personnage récurrent (et ses acolytes charismatiques…) dans leurs pérégrinations. L’univers « cartoon » aux couleurs chaudes, avec ses personnages aux visages déformés, n’en n’est pas moins assez sombre et étrange; le trait n’est pas sans rappeler celui d’un autre membre de la fratrie, Nicolas, avec qui il partage le goût pour la difformité physique.
C’est avec ce clip qu’il obtient une Victoire de la Musique du meilleur clip en 2001.
Geoffroy de Crécy est également sollicité par le monde de la publicité : pour ces films comme pour les vidéoclips, il suit un schéma narratif et conserve son univers graphique si particulier l’éloignant des « réclames » traditionnelles.
Il décide néanmoins d’élargir son espace narratif en passant à la réalisation de courts métrages (Dog Days, Berni’s Doll) avec son studio d’animation 3D Dummy.
Hervé de Crécy décortique les codes du graphisme
Dans la famille de Crécy, je demande maintenant Hervé! Avec son collectif de graphistes, H5, celui-ci s’est également attelé à la réalisation de clips. Dans tous leurs travaux, ils adoptent un parti pris graphique singulier : poursuivant la démarche d’Andy Warrhol qui s’appropriait les produits de consommation, ils utilisent et détournent les outils de communication et les codes du graphisme et de l’identité visuelle pour… communiquer! En somme, il s’agit d’une mise en abîme invitant à repenser ces codes.Le collectif a accompagné l’émergence de la French Touch dont il réalise les pochettes d’albums comme celle de l’album Superdiscount pour Etienne de Crécy. La pochette serait ainsi plus adaptée pour vendre de la soupe dans un super marché que pour la promotion d’un produit culturel : jaune criard, recherche typographique et surtout titre aguicheur, Geoffroy de Crécy joue avec les codes graphiques du marketing direct et provoque volontairement.
Pour le clip de « The Child » d’Alex Gopher, le collectif poursuit son travail de graphiste : celui-ci dépeint une ville toute en typographie, chaque mot prenant la place de l’objet qu’il désigne. Dans la veine de l’école structuraliste (excusez-moi mais je dois la faire celle-là), le travail graphique invite à faire du mot écrit un signe tant visuel que conceptuel, signifié que signifiant… Regardez le clip ce sera plus clair :
Il obtient lui aussi un prix pour le clip de « Remind me » du groupe Royksopp aux MTV Awards : le clip utilise les codes propres au graphisme d’information ou encore au marketing, pour raconter la journée type d’une jeune londonienne. L’être humain y est décrit comme un produit… un clip un poil anxiogène!
Ca vous rappellerait pas quelque chose…? Le clip a en effet séduit les dirigeants d’Areva qui ont sollicité Hervé de Crécy et sa bande pour recycler le concept en une série de publicités pour le géant du nucléaire.
Logorama ou le graphisme animé
Le collectif se lance également dans la réalisation de courts métrages avec non moins de succès… un petit Oscar du meilleur court-métrage d’animation (rien que ça !)…
Hervé de Crécy, François Alaux et Ludovic Houplain imaginent une ville, temple du libéralisme marchand et du consumérisme, construite intégralement à partir de logos. Il leur aura fallu près d’un an et demi pour choisir parmi 40 000 logos différents. L’animation est soignée ; en effet, ceux-ci ont préféré utilisé la méthode de la rotoscopie pour animer leurs personnages et éviter le côté trop cartoon (de vrais personnes sont filmés).
Le scénario, quelque peu archétypal, nous conte les aventures de deux policiers (des bibendums Michelin) à la poursuite d’un méchant qui terrorise la population (Ronald Mc Donald), avant que la nature reprenne ses droits et n’engloutisse la ville dans un séisme…
Critique à l’égard de cette société de surconsommation, les réalisateurs semblent pourtant l’avoir complètement assimilée. Les logos semblent ici avoir été collectionnés compulsivement, étant considérés comme des icônes modernes. On notera qu’H5 n’a absolument pas demandé leur accord aux marques : ce faisant, il leur aurait été impossible de réaliser leur film.
Logorama prend dès lors un sens militant (ou pas…), le logo doit rester ductile, car il nous est imposé dans l’espace public. Devenu un élément de notre cadre de vie, en quoi ne pourrions-nous pas le reproduire, l’utiliser, le détourner? Ne serait-ce pas une propriété collective, entrée au panthéon des références culturelles car identifiable par tous?
Noyé dans un espace médiatique saturé, les logos de Logorama ont perdu leur sens marchand, en devenant de purs objets visuels. De par leur profusion et leur surexploitation dans l’espace visuel, ils perdent ainsi leur raison première, celle de signifier, de représenter une marque et un produit.
Le travail graphique d’H5 joue de ce paradoxe : Logorama, tantôt subversif et iconoclaste, reste dans une forme de complaisance esthétique à l’égard de ce monde de logos et de publicités ambulantes. Sans doute, peut-on leur reprocher de ne pas aller plus loin, de ne pas analyser, de ne pas associer un discours politique.
Néanmoins, le court métrage à l’humour parfois potache n’en adopte pas moins un regard intéressant sur l’espace urbain, l’humain et sa place dans une ville qui semble inadaptée à son échelle, saturée de messages publicitaire et de communication, aboutissant à une forme d’abrutissement…