Cerveau ramolli
Bonsound
Canada
Note : 8,5/10
par Élise Jetté
On ne pourra jamais reprocher à Lisa Leblanc de camoufler ses origines. Elle n’en serait jamais capable. Chus rendue plate à mourir, j’feel mon cerveau ramollir nous dit-elle en ouverture de son album sur la pièce titre. Une structure de phrase typique du Nouveau-Brunswick, sa province d’origine, se fait ici bien claire. Après avoir obtenu la grande victoire du Festival international de la chanson de Granby en septembre 2010, l’Acadienne n’a pas pris de vacances. Ayant déjà plusieurs spectacles à son actif, la jeune Lisa Leblanc a su développer une confiance en elle infinie qui transparait sur chaque parcelle de Cerveau ramolli, réalisé par nul autre que Louis-Jean Cormier. L’auteure-compositrice-interprète dont la sincérité et le son sont extrêmement similaires à ceux de Bernard Adamus vous chantera des mots rarement émis par une femme dans la chanson, mais des mots qu’on aimerait dire chaque jour.
On choisira de dire que ses textes sont crus ou bien qu’ils sont calqués sur la réalité, mais la vérité c’est que ses mots nous touchent malgré toute la franchise qu’ils contiennent. J’ai pu l’goût qu’on m’parle de contes de Disney. Le prince charmant s’tun cave pi la princesse s’t’une grosse salope, s’écrie-t-elle dans Aujourd’hui ma vie c’est d’la’marde. Certains jours, on a envie de s’époumoner à chanter sa chanson. Merci Lisa!
À travers quatre ballades mélancoliques trash, on a vraiment une forte impression de vérité, sans enjolivures, sans rêves préconçus. Kraft dinner, Avoir su, Câlisse-moi là et J’t’écris une chanson d’amour pourraient être des parodies de chansons sentimentales, mais la sensibilité qui se cache subtilement à travers les mots durs rend Lisa Leblanc extrêmement attachante. J’t’écris une chanson d’amour parce que je suis conne, nous dit-elle sans qu’on ait trop de mal à croire qu’écrire une chanson d’amour est un exercice plutôt idiot. Avec Kraft dinner elle explique pourtant l’amour avec futilité, humour et sensibilité, permettant à celui qui écoute de se sentir plus près de la chanson. Les pièces de Lisa Leblanc disent vrai : J’aimerais ça danser un slow avec toi, mais on est tous les deux trop maladroits. J’aurais peur de t’marcher d’ssus, pis de te casser un orteil. J’aimerais ça qu’on se regarde dans les yeux et qu’on s’dise des belles affaires. Ça sortirait peut-être tout à l’envers, mais nous autres on se comprendra. Dans un folk trash assumé et parfois rock, Lisa Leblanc tangue sur la limite pourtant si grande entre la phrase vulgaire et les paroles sensibles. Elle réussit habilement à transformer cette limite plutôt immense en une ligne extrêmement mince. La surprise ressentie par l’auditeur lorsqu’il constate qu’il est ému par la chanson qui le faisait rire est unique à ce beau style contenu en une seule et même femme. Il est si intéressant de constater toute la puissance d’une métaphore qui est gueulée avec un accent et des « r » roulés dans Avoir su : avoir su que les papillons m’auraient ronger le coeur au lieu de l’estomac.
Le disque Cerveau ramolli n’a pas peur des mots et ne craint pas de les scander haut et fort, comme dans Câlisse-moi là où la chanteuse s’exclame d’une voix suave et puissante, tout simplement: câlisse-moi là. Dans Lignes d’hydro, Lisa Leblanc crée une alternance entre la chanteuse qui crie et qui susurre. Magnifique. Dans Chanson d’une rouspéteuse, elle vous dira qu’elle n’a pas de chum, que son toaster est fini, qu’elle hait l’hiver, l’été, le gouvernement et surtout les chansonniers qui font des covers de Johnny Cash. Malgré le caractère brut des mots qui défilent avec tant de justesse sur les pièces de la jeune Acadienne, celle-ci développe une poésie qui lui est propre et qui s’attache malicieusement au coeur de l’auditeur, comme dans Juste parce que j’peux, où les mots sont soulignés par une mélodie très accrocheuse : on m’a déjà dit que la solitude n’a pas besoin d’être un état de tristesse. J’vas m’accrocher à ces mots jusqu’à ce que ça passe.