Crédit photo : La famille d’Amina El Filali lors d’une conférence de presse, Rabat, mars 2012. © Stringer/Reuters
Article 475 du code pénal marocain :
Quiconque, sans violences, menaces ou fraudes, enlève ou détourne, ou tente d’enlever ou de détourner, un mineur de moins de dix-huit ans, est puni de l’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams (entre 18 et 45 euros, Ndlr). Lorsqu’une mineure nubile ainsi enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi que sur la plainte des personnes ayant qualité pour demander l’annulation du mariage et ne peut être condamné qu’après que cette annulation du mariage a été prononcée.
C’est en vertu de cette loi que, pour laver l’honneur de la famille de la honte occasionnée par le viol de leur fille, les parents d’Amina El Filali, une jeune femme de 16 ans, ont consenti à la donner en mariage à son ravisseur. Ceci a poussé la jeune femme a se suicider le 10 mars dernier, en avalant de la mort-aux-rats. Une mort violente pour représenter l’horrible destin qui attendait Amina.
Ce drame a suscité la colère d’un grand nombre d’organismes qui luttent contre la violence faite aux femmes et pour les libertés individuelles. L’affaire Amina a ému les marocains mais aussi la communauté internationale qui s’est mobilisée pour signer une pétition pour faire abolir l’article 475. Qui aurait pu penser qu’une loi pouvait littéralement tuer les victimes qu’elle est sensée protéger?
En plus du choc et de la révolte que cette loi suscite chez moi en tant que femme, j’ai été particulièrement frappée par quelque chose d’encore plus contradictoire : le Maroc figure parmi les sociétés les plus modernes d’Afrique pourtant, l’application de cette loi ne semble pas être le reflet de la société marocaine moderne. Elle démontre un profond décalage important entre les réalités sociales actuelles et l’attachement aux modes de fonctionnement traditionnels. Cependant, le Maroc n’est pas le seul pays en cause. Beaucoup de pays africains fonctionnent toujours avec des institutions politiques caractérisées par une grande inertie alors que les institutions économiques et les moeurs évoluent rapidement (grâce au développement). Il en découle un profond décalage entre la société et les institutions et des individus qui ne se reconnaissent plus dans les cadres juridique et légal qui régissent tous les aspects de leur vie.
Est ce que l’affaire Amina choque autant parce qu’elle fait l’échos des milliers de femmes qui comme Amina ont été contraintes à vivre avec leur ravisseur? Est-c’est à cause du caractère discriminatoire et contradictoire de cette loi - une loi qui protège des violeurs? Est-ce que ce n’est pas plutôt le fait de réaliser le décalage entre le cadre juridique traditionnel et les réalités de la société moderne?
Malgré la mobilisation de la communauté internationale, est ce que le gouvernement marocain accepterait de modifier cette loi sans risquer de rendre comptes aux autres Amina qui elles, ont été contraintes depuis tellement longtemps à vivre avec leur ravisseur? Espérons qu’Amina n’est pas morte en vain. RIP Amina.
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