« La vie change vite.
La vie change dans l'instant. »
Ainsi commence le récit de Joan Didion, célèbre écrivaine américaine. Ces moments où tout bascule. Ces journées ordinaires qui s'achèvent en enfer. Suite à une pneumonie, la fille de Joan et John est dans le coma depuis cinq jours. En rentrant de l'hôpital, ils préparent le repas, se mettent à table, discutent. Soudain, John meurt d'une crise cardiaque foudroyante.
« La vie change vite.
La vie change dans l'instant. »
Ils allaient fêter leur quarante ans d'anniversaire de mariage. Tous deux écrivains, ils travaillaient ensemble. Le compagnon de toute une vie. Joan Didion écrit alors le deuil. Parce que c'est son métier, parce que c'est ce qu'elle est, parce que l'écriture lui aussi indispensable que de respirer.
Elle écrit le deuil, le décrit, l'analyse sans le psychanalyser, le ressent, l'intellectualise, le réfléchit, le documente. Il en ressort une réflexion profonde, sincère et généreuse. En mettant des mots sur ce qui nous concerne tous, sur ce qui (in)consciemment nous terrasse, la mort, le deuil, s'ils ne nous font pas moins peur, en ressortent désacralisés.
La perte de son amour, la terreur de perdre sa fille qui va, qui s'en va pour mieux revenir, un parcours de construction pour « vivre sans ». Et cette pensée magique. Celle qui naturellement revient, que l'on sait irrationnelle mais qui s'impose de manière si évidente et qui finalement dicte nos actes dans le seul but de pourvoir au : « et s'il revenait... ».
Sans oublier la question lancinante... pressent-on que son heure est arrivée ? Peut-on commander la mort de peur de ne pas supporter celle d'un être cher ?
En tournant la dernière page, j'ai été soulagée d'apprendre que Quintana, la fille de Joan Didion est vivante. Nouvelle claque. Les mots dans un livre restent figés mais la réalité rattrape les vivants.
Le Livre de Poche, 281 pages pudiques et d'une grande force, 2009
National Book Award en 2005
Prix Médicis essai 2007
Extraits
« Le mariage, c'est la mémoire ; le mariage, c'est le temps. Le mariage, ce n'est pas seulement le temps; c'est aussi, paradoxalement, le déni du temps. Pendant quarante ans, je me suis vue à travers le regard de John. Je n'ai pas vieilli. Cette année, pour la première fois depuis mes vingt-neuf ans, je me suis vue à travers le regard des autres ; pour la première fois, j'ai compris que j'avais de moi-même l'image d'une personne beaucoup plus jeune. Nous sommes d'imparfaits mortels, ainsi faits que lorsque nous pleurons nos pertes, c'est aussi, pour le meilleur et pour le pire, nous-mêmes que nous pleurons. Tels que nous étions. Tels que nous ne sommes plus. Tels qu'un jour nous ne serons plus du tout. »
« Je sais pourquoi nous essayons de garder les morts en vie : nous essayons de les garder en vie afin de les garder auprès de nous.
Je sais aussi que, si nous voulons vivre nous-mêmes, vient un moment où nous devons nous défaire de nos morts, les laisser partir, les laisser morts.
Les laisser devenir la photo sur la table de chevet.
Les laisser devenir le nom sur les comptes de tutelle.
Les laisser partir au fil de l’eau.