L’histoire pourrait fournir la trame d’un best-seller sur une enquête artistico-scientifique : le quotidien Le Figaro révèle (édition du 28 septembre 2011) qu’un dessin, longtemps considéré comme datant du début du XIXe siècle, était en fait une œuvre de Léonard de Vinci. Vendu 21 000 dollars en 1999, La Belle Princesse pourrait désormais valoir 5 000 fois plus. Et c’est une caméra ultra sophistiquée qui a permis d’établir l’authenticité du dessin.
Peter Silverman peut jubiler : ce collectionneur canadien avait repéré dès 1998 un petit vélin de 33 sur 24 cm, intitulé Jeune fille de profil en costume Renaissance. Ce dessin aux trois craies et encre sur vélin représente une belle personne blonde de profile.
Mis en vente par Christie’s à New York, ce dessin est catalogué comme étant « allemand, début du XIXe siècle ». Le collectionneur souhaite l’acquérir, mais c’est finalement une marchande d’art new-yorkaise, Kate Ganz, qui l’achète pour 21 850 dollars.
Neuf ans plus tard, comme aucun autre client ne s’est manifesté, Kate Ganz cède cette pièce au collectionneur, sans aucun bénéfice. Peter Silverman a l’intuition que ce vélin pourrait être un portrait original de la Renaissance italienne, et éventuellement de la main de Léonard de Vinci. Pour en avoir le cœur net, il se rend, en 2007, dans les locaux de Lumière Technology, à Paris.
Une caméra unique au monde
Ce laboratoire s’est fait connaître pour avoir proposé une retentissante reconstitution des couleurs d’origine de La Joconde, grâce à une caméra multi spectrale mise au point par Pascal Cotte. Cet appareil unique au monde est capable de reconstituer une matrice de 240 millions de pixels. Treize filtres découpent le filtre avec une finesse inégalée, séparant les ultraviolets des infrarouges, pour produire plus de 3 milliards de données.
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L’équipe de Lumière Technology soumet le dessin à une analyse poussée. Une partie d’emprunte de paume de la main apparaît. Un chercheur estime cette trace comparable à d’autres empreintes relevées sur des tableaux du maître toscan. L’étude révèle aussi que le tracé courbé du dessin est probablement l’œuvre d’un gaucher. Le carbone 14 situe la feuille aux environs du XVIe siècle.
Enfin, la jeune fille portraiturée porte un costume et une coiffe à la mode à la cour milanaise des Sforza. Martin Kemp, l’un des spécialistes de Leonard de Vinci, professeur émérite d’histoire de l’art à Oxford, et Pascal Cotte, l’inventeur de la caméra, pensent que cette jeune fille est Bianca, la fille illégitime du duc Ludovico Sforza, mariée en 1496 au commandant des armées du duc.
Une enquête européenne
Mais cette authentification est contestée par divers experts. D’autant que Jeanne Marchig, la cliente qui avait confié la vente de son dessin à la maison Christie’s, a déposé plainte contre la maison d’enchères.
Pour appuyer ses hypothèses, Pascal Cotte va mener une véritable enquête dans quatre pays européens. Sur les photos prises du vélin, il a en effet repéré trois trous minuscules dans la bordure gauche. Le spécialiste Marin Kemp pense que le dessin pourrait provenir d’un livre.
Il lance un appel à des historiens d’art : « Connaissez-vous des livres liés aux Sforza, d’au moins 33 sur 24 cm et datant de la fin du XVe siècle ? ».
David Wright, un historien d’art américain, lui a répondu connaître l’existence de quatre livres de la même nature, qui racontent l’histoire de la vie des Sforza. On les appelle les « Sforziades », ils ont été imprimés en 1490, et enluminés par un maître de l’époque. Chaque exemplaire a été offert à un moment clé de la vie des grands de la cour milanaise. L’un se trouve à la Bibliothèque nationale de France, l’autre à la British Library, un troisième à Florence et au Vatican, et le quatrième est conservé à la Bibliothèque nationale de Varsovie.
Ce dernier livre a été produit spécialement pour le mariage de Bianca. Pascal Cotte se rend en Pologne. De fait, les trous correspondent, la nature des vélins est identique et il manque justement une page à ce codex-là.
Pour les spécialistes, au premier chef Martin Kemp qui va réviser son livre-somme sur Léonard de Vinci, l’origine du dessin ne fait désormais plus de doutes : le Profil de la Belle Princesse est bien le treizième portrait de Léonard de Vinci.