Négociez !

Publié le 26 mars 2012 par Alteroueb

Le printemps revient en force. Les tenues vestimentaires se sont considérablement allégées, et les bas-ports du Rhône, à Lyon, proposent de belles images de vacances et de farniente avant l’heure. La carte postale est lumineuse et colorée, mais dès que l’on s’enfonce sur les boulevards et les ruelles, les senteurs changent et le spectacle est tout autre : les poubelles dégueulent et s’entassent dans la plus grande anarchie.

Le conflit opposant les éboueurs et le Grand-Lyon (la communauté urbaire) entre dans sa troisième semaine. Depuis le début, les motifs et les possibles solutions de sortie de crise n’ont guère évolué. Face aux revendications, on oppose une fin de non-recevoir ferme assortie d’une action en justice pour bien monter qui dirige la manœuvre… Inutile de dire que ce mode de concertation ne peut que radicaliser les discours.

En la matière, il faut dire que la région détient un champion du monde, en la personne du préfet Jean-François Carenco. Découvrant le problème depuis son immense bureau doré et meublé avec prix et un certain goût, il a «globalement trouvé que les éboueurs du Grand Lyon ne travaillaient pas beaucoup». Là, c’est sûr, voilà une déclaration qui va utilement contribuer aux débats et apporter un éclairage nouveau.

Avant de lancer des âneries aussi définitives, j’aurais aimé, pour une fois, que ce monsieur parle en connaissance de cause. J’aurais beaucoup aimé le voir accroché pendant 5 heures au cul d’un camion-benne qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il neige, de -15 à +30 degrés. J’aurais beaucoup apprécié de voir cet habitué du costard 3 pièces de grande marque en tenue verte et jaune fluo courir entre les bacs, mettre les mains dans la merde des autres et éviter de jouer les quilles pour les automobiles pressées de doubler en grommelant. J’aurais même payé pour le voir se lever bien avant l’heure du laitier et travailler sans être assisté par une armée de larbins serviles et obséquieux. J’adorerais enfin le voir accueillir avec un sourire radieux une fiche de paye sans commune mesure avec celle d’un préfet de région pour 6 jours de travail sur 7 alors qu’une promesse d’un samedi travaillé sur 2 avait été obtenue en 2003, mais jamais appliquée….

Oui, les heures de travail d’un éboueur ne sont certainement pas au nombre des vôtres, Monsieur le Préfet. Il y a derrière l’aspect purement comptable bien d’autres choses qui vous échappent, que vous refusez de voir, à commencer par la notion même de «travail» qu’il vous est impossible d’appréhender simplement.

En agissant de la sorte, nos élites oublient leur rôle, parce que dans un tel conflit, on est deux, et chaque partie a sa part de responsabilité. Crier sans cesse aux privilèges (sic) des grévistes irresponsables (re-sic) brandissant sans cesse l’étendard rouge de la grève (re-re-sic) face à des mesures et réformes concertées (re-re-re-sic) tout en étant payés (re-re-re-re-sic), c’est déformer sciemment la réalité. En jouant le pourrissement plutôt que de dialoguer, comme dans une démocratie saine, c’est la société entière qui est prise en otage. L’inacceptable n’est pas la grève, c’est l’absence de dialogue.

Et puisqu’on prend sans cesse l’Allemagne comme exemple, continuons. Ils ont, dit-on, cette capacité à négocier, à désamorcer les conflits avant le blocage, d’agir de manière raisonnable. Dans le cas qui nous concerne, c’est tout le contraire. Cette opération de modifier les tournées (pour augmenter de façon invisible les tonnages de collecte des compagnies privées, donc leur chiffre d’affaire, en contrepartie de la perte d’une partie de la distribution d’eau…) est-elle vraiment judicieuse pour l’intérêt général ? On ne gagne rien à s’arquebouter, sauf si l’objectif est de dominer, de casser, d’humilier. On doit bien pouvoir progresser et avancer ensemble. Non ?

Le changement, c’est maintenant.