Anthologie permanente / Jean-Christophe Bailly

Par Florence Trocmé

Cet extrait ne fait pas partie d’une œuvre poétique de Jean-Christophe Bailly mais de son livre Le Dépaysement. Il semble bien à sa place dans cette « anthologie permanente », qui s’ouvrira désormais à des textes plus variés que par le passé.  
 
 
[...] c’est justement aux vraies souris que je veux en venir, à elles, et,  
à leurs cousines ailées dont le vol chaque soir strie les nuits d’été, 
aux crapauds (les accoucheurs et les autres) et aux grenouilles, 
aux cistudes et autres tortues, 
aux couleuvres filant entre les herbes, aux orvets et aux salamandres, 
aux hérissons, bien sûr, et aux renards, 
aux buses qui tournoient haut dans le ciel en poussant de petits cris, 
aux chouettes, chevêches et effraies pareillement,  
aux ducs et aux faucons, aux geais et aux pics, 
aux pies et aux freux, aux martinets, aux merles, mésanges, chardonnerets et moineaux de toutes sortes 
en n’oubliant ni les faisans, perdrix, sarcelles et autres cailles, 
ni les oiseaux des étangs et des marais 
ni ceux de la mer, les mouettes, les cormorans, les fous de Bassan, les macareux, 
aux cerfs, daims, chevreuils et biches, aux lapins et aux lièvres, 
aux lynx (s’il en reste, on dit que oui, dans le Jura), aux sangliers, castors, ragondins, loups, ours, blaireaux, belettes, 
aux loutres et aux carpes, brochets, écrevisses, ablettes, truites, gardons, à tout le peuple des rivières 
ainsi qu’aux libellules, cigales, hannetons, criquets, mouches, abeilles, araignées et fourmis, 
et à tous ceux dont cette énumération qui n’est qu’un condensé hâtif ne dit pas les noms, des noms qui, lorsqu’on les découvre, cherchant souvent en vain à les retenir, instillent dans la langue une sorte de poème latent qui la révèle à elle-même, la déplie, l’allongeant au soleil sur de petites gelées friables ou la laissant flotter comme le font les algues dans les courants d’eau douce : comme dans la boucle de la Seille à Han où était venue entre autres oiseaux, souvenez-vous-en, la rousserolle effarvatte, que l’on risque de confondre, dit un manuel d’ornithologie, avec la fauvette des jardins mais aussi avec la bouscarle de Cetti ou le phragmite des joncs. Et ainsi de suite, quantité de peuplements, de présences, de cachettes, de noms – exactement ce que l’on appelle une faune, exactement ce qui est, de chaque pays, la face la moins connue et le partage le plus secrets, souvent aussi le plus menacé. 
 
Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement, Seuil, 2011, p. 372.  
 
Jean-Christophe Bailly dans Poezibao : 
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, notes sur la création, ext. 3, Le dépaysement (JP Dubost), note création 
 
On peut lire aussi de nombreuses notes prises en lisant Le Dépaysement dans Le Flotoir, site personnel de Florence Trocmé (ces notes débutent le mardi 18 février.)