L’avenir de Cessna sera chinois ou ne sera pas.
Décidément, la Chine est omniprésente, ambitieuse, à la manœuvre, en train de se positionner sur tous les grands marchés de l’aéronautique civile de demain. Quelques heures seulement après la signature d’un accord qui lie l’avenir de l’avion régional C.Series de Bombardier à celui du chinois Comac, c’est Cessna qui cède à la tentation. Chef de file de l’aviation privée et d’affaires américaine mais dangereusement fragilisé par une conjoncture désastreuse, le constructeur de Wichita a décidé de confier son sort à AVIC en même temps qu’aux autorités municipales de Chengdu. Clyde Cessna doit se retourner dans sa tombe…
Deux accords «stratégiques» ont été signés. Le premier prévoit le développement de toute une gamme de biréacteurs d’affaires, monoturbopropulseurs utilitaires et d’avions de loisirs à moteurs à pistons. En pratique, c’est la gamme complète Cessna qui est concernée, étant entendu que ces nouvelles réalisations seront produites et certifiées en Chine. Une grande naturalisation, en quelque sorte, qui ressemble à tort ou à raison à un geste désespéré de survie.
Le deuxième accord, complément du premier, ponctuel celui-là, porte apparemment sur un avenir proche, la production locale de jets d’affaires de milieu de gamme en même temps que le développement d’un «produit nouveau» sur lequel rien de précis n’est dit. La question qui est posée est de savoir si Cessna a tiré le gros lot, ce qui est plausible sans être certain. Tout est question d’appréciation : le marché chinois, encore dans les limbes, s’annonce considérable, à l’image d’une puissance économique toute en superlatifs. Mais Cessna risque aussi d’y perdre une bonne partie de son autonomie, voire son âme.
Cessna agit en connaissance de cause et ne risque probablement pas de connaître de mauvaises surprises. Son alliance avec Shenyang Aircraft (groupe AVIC) lui a en effet permis de bien connaître ses interlocuteurs dans la durée et de lancer la production du petit 162 SkyCatcher dans des conditions économiques qu’aucun autre partenaire n’aurait pu lui offrir. Affiché à 110.000 dollars environ, après des débuts un peu compliqués, le 162 vogue vers le succès, sous toutes les latitudes. S’il est entièrement fabriqué en Chine, la chaîne d’assemblage final va bientôt être déménagée aux Etats-Unis, ce qui suffira sans doute à américaniser le petit appareil, simple, robuste et délicieusement rétro (sa silhouette intemporelle est celle de n’importe quel monomoteur Cessna type années cinquante).
Le secteur de l’aviation privée occidentale tout entière a entamé il y a quelques années une longue opération de séduction dans l’espoir de s’implanter en Chine. Des contacts plus ou moins discrets ont été noués par AVIC avec Dassault Aviation, Hawker Beechcraft (aujourd’hui au bord du dépôt de bilan) et quelques autres prétendants. Embraer s’est cru en pole position, disposant déjà d’une usine à Harbin qui a assemblé à rythme modeste l‘avion régional ERJ-145 et se prépare à le remplacer par le Legacy 650. Mais, visiblement, AVIC en voulait beaucoup plus.
Les Chinois ont été très logiquement attirés par le prestige de Cessna. Les versions successives de son biréacteur Citation ont été produites à plus de 6.000 exemplaires, un record, et la société ne rate pas une occasion de rappeler qu’elle a produit, depuis sa création en 1927, très exactement 192.500 avions. Aujourd’hui, on imagine déjà que le 200.000e sera chinois.
Pierre Sparaco - AeroMorning