Les Lièvres, dit-on, s’assemblèrent
En parlement et décidèrent
De s’exiler. Ils partiraient,
Quittant la grotte où ils vivaient,
Pour échapper à leur malheur :
Hommes et Chiens leur faisaient peur.
Ils ne voulaient plus le souffrir,
Ce qu’ils voulaient, c’était partir.
Les Lièvres prudents leur disaient
Que c’était fou, qu’ils se perdraient
Loin du pays de connaissance
Où ils vivaient depuis l’enfance,
Mais les autres n’écoutaient rien
Et se mirent donc en chemin.
Arrivant au bord d’un étang,
Ils voient la vase et vont notant
Que les Grenouilles assemblées,
Ayant peur d’eux, se sont sauvées,
Plongeant dans l’eau à qui mieux mieux
Dès qu’ils ont approché un peu.
Un Lièvre hèle ses compagnons :
« Seigneurs, dit-il, regardez-donc !
Ces Grenouilles que vous voyez
S’enfuir montrent bien, comprenez,
Que c’était une vraie folie
De quitter notre grotte amie
Pour vivre ailleurs plus rassurés :
Nulle part vous ne trouverez
De terre où l’on ne craigne rien :
Allons-nous-en, nous ferons bien ! »
Les Lièvres sont donc repartis
Et sont rentrés dans leur pays.
Ainsi faut-il bien réfléchir
Quand on a envie de partir,
De tout laisser, de tout quitter,
A ce qui peut en résulter.
Jamais nul royaume ici-bas,
Nul pays ne se trouvera
Où l’on puisse vivre sans peur,
Sans épreuves et sans malheurs.
Marie de France (XII siècle).
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