M. Lantin, commis à la mairie
De Paris,
Reprochait à son épouse ses goûts
Pour le théâtre et les faux bijoux.
Elle le traînait au spectacle bon gré
Mal gré.
En fait ces divertissements,
L’ennuyaient affreusement.
Ces soirées firent naître en elle
Le besoin de se parer.
Si ses toilettes demeuraient
Simples, les bijoux lui donnaient
Une grâce nouvelle
Et un air pomponné :
Colliers de faux rubis,
Bracelets en or-simili,
Pendentifs de verroterie imitant
Le diamant
Diadème en strass singeant l’aigue-marine
Ou d’autres pierres fines.
Lantin, choqué par son amour du clinquant,
Lui répétait souvent : -Ma chère quand
On n’a pas les moyens de se payer de beaux
Et véritables bijoux, il ne faut présenter
Que sa beauté.
Voilà encore les plus rares joyaux !
Mais elle souriait :-Que veux-tu ? J’aime ça.
Tu as raison ; mais on ne se refait pas.
J’adore les bijoux, moi !
Et elle faisait rouler dans ses doigts
Les colliers,
Miroiter les cristaux taillés
Et répétait :
-Regarde, on jurerait du vrai !
Parfois le soir elle apportait
Sur la table où ils prenaient le thé
La boîte où la pacotille était enfermée.
Elle examinait ces bijoux imités
Avec une attention passionnée,
Une jouissance voluptuaire.
Comme souventes fois
Elle avait été à l’Opéra
Mais cette nuit d’hiver
Elle rentra
Toute frissonnante de froid.
Le lendemain elle toussait, expectorait.
Huit jours plus tard, elle mourait.
Entre les mains de sa femme, ses appointements
Suffisaient à tous les besoins du ménage.
Ils devenaient à présent insuffisants
Au commis pour son unique usage.
Il se demandait comment
Elle s’y prenait
Pour lui acheter les vins fins
Et les mets toujours excellents
Qu’il ne pouvait plus se procurer.
La vie devint dure pour Lantin.
Il voulut vendre les clinquants de son épouse,
Tous.
Il commença par un collier de perles noires
Qui pouvait bien valoir,
Pensait-il,
Six ou huit francs
Car il était vraiment
D’un travail très soigné pour une pacotille.
Il entra dans une bijouterie
Un peu honteux d’étaler ainsi
Sa misère et vouloir se défaire
D’un trompe-l’œil si peu cher.
-Je voudrais bien savoir
À combien vous estimez ce sautoir.
Le collier est examiné par le marchand :
-Cela vaut quinze mille francs.
Le veuf ne comprenant pas demeura béant.
L’autre se méprit sur son étonnement :
-Cherchez donc ailleurs.
Mais si vous n’obtenez
Que des offres inférieures,
N’hésitez pas. Revenez.
Lantin pensa : « Oh ! l’idiot !
Si je l’avais pris au mot,
Voilà un bijoutier
Qui ne sait pas distinguer le faux du vrai !
Et rue de la Paix, il pénétra
Chez un célèbre joailler.
Dès qu’il aperçut le collier,
L’orfèvre s’écria :
-Je le connais bien, parbleu !
Ce bijou vient de chez moi, monsieur.
-Combien vaut-il ?
-J’en donnerai dix-huit mille.
-Examinez-le attentivement, monsieur.
J’avais cru jusqu’ici qu’il était en… faux
-Comment en êtes-vous détenteur ?...
Pardonnez,...je dois respecter les textes légaux.
Voulez-vous me dire votre nom, monsieur.
-Marc Lantin, je suis employé à la mairie.
Je demeure 16 rue de la Corderie.
Le marchand saisit son registre, l’ouvrit:
-Ce collier a bien été livré en effet
Le 20 juillet 1877,…
À Madame Lantin…
…16 rue de la Corderie.
Lantin remercia et salua le marchand.
Tout en marchant,
Il s’efforçait de comprendre comment
Sa femme avait-elle
Pu acheter un objet d’une valeur telle.
Non. C’était un présent ! Un cadeau !
Mais de qui et pourquoi, ce cadeau !
Un doute horrible l’effleura :
Les autres bijoux sont aussi des cadeaux
Ah ! il chutait de haut !
La terre semblait sous lui se dérober
Et un arbre devant lui tomber.
Il se ressaisit : comme on est content
Quand on a de l’argent !
Avec de l’argent, on se distrait !
Il revint rue de la Paix,
S’engouffra chez le marchand
Qui prit dans son tiroir en s’empressant
Dix-huit grands billets.
Lantin glissa l’argent
Lentement
Dans sa poche en disant :
-J’ai d’autres bijoux…de cette succession
…Seriez-vous dans les mêmes dispositions ?
Si vous le souhaitez,
Je vais vous les apporter.
Lantin retourna
À la bijouterie
En fin d’après-midi,
Un précieux coffret sous le bras.
Presque tous les bijoux venaient de cette maison.
Voici les estimations
En francs
Les brillants d’oreilles : vingt mille francs.
Les bracelets : trente-cinq mille
Les broches et les médaillons : seize mille.
Le diadème : onze mille.
Les bagues : vingt deux mille
Une parure de saphirs : quatorze-mille.
Le diamant : quarante mille.
Le tout atteignait plus de cent
Cinquante mille francs.
Cent soixante mille francs !
Lantin avait faim maintenant.
Il alla diner chez Voisin,
But du vin
À vingt francs la bouteille
Et s’en mit jusqu’aux oreilles.
Puis il fit un tour aux Tuileries.
Il regardait les passants avec mépris,
Oppressé du désir de leur crier :
« Je suis riche, j’ai deux cents mille francs ! »
Le lendemain, il se rendit
À la mairie
Pour donner sa démission.
Se moquant du qu’en-dira-t-on,
Il confiera, souriant :
-Comprenez,
J’ai hérité
De trois cents mille francs !
Puis il déjeuna au Grand Café Duguet.
Se trouvant à côté d’un monsieur distingué,
Il ne put résister longtemps
-Je viens d’hériter de quatre cents mille francs !
Et il riait.
Six mois plus tard, il se remariait.
Paterne MAIBRILLE