LES BIJOUX, d'après Maupassant

Publié le 26 mars 2012 par Dubruel

M. Lantin, commis à la mairie

De Paris,

Reprochait à son épouse ses goûts

Pour le théâtre et les faux bijoux.

Elle le traînait au spectacle bon gré

Mal gré.

En fait ces divertissements,

L’ennuyaient affreusement.

Ces soirées firent naître en elle

Le besoin de se parer.

Si ses toilettes demeuraient

Simples, les bijoux lui donnaient

Une grâce nouvelle

Et un air pomponné :

Colliers de faux rubis,

Bracelets en or-simili,

Pendentifs de verroterie imitant

Le diamant

Diadème en strass singeant l’aigue-marine

Ou d’autres pierres fines.

Lantin, choqué par son amour du clinquant,

Lui répétait souvent : -Ma chère quand

On n’a pas les moyens de se payer de beaux

Et véritables bijoux, il ne faut présenter

Que sa beauté.

Voilà encore les plus rares joyaux !

Mais elle souriait :-Que veux-tu ? J’aime ça.

Tu as raison ; mais on ne se refait pas.

J’adore les bijoux, moi !

Et elle faisait rouler dans ses doigts

Les colliers,

Miroiter les cristaux taillés

Et répétait :

-Regarde, on jurerait du vrai !

Parfois le soir elle apportait

Sur la table où ils prenaient le thé

La boîte où la pacotille était enfermée.

Elle examinait ces bijoux imités

Avec une attention passionnée,

Une jouissance voluptuaire.

Comme souventes fois

Elle avait été à l’Opéra

Mais cette nuit d’hiver

Elle rentra

Toute frissonnante de froid.

Le lendemain elle toussait, expectorait.

Huit jours plus tard, elle mourait.

Entre les mains de sa femme, ses appointements

Suffisaient à tous les besoins du ménage.

Ils devenaient à présent insuffisants

Au commis pour son unique usage.

Il se demandait comment

Elle s’y prenait

Pour lui acheter les vins fins

Et les mets toujours excellents

Qu’il ne pouvait plus se procurer.

La vie devint dure pour Lantin.

Il voulut vendre les clinquants de son épouse,

Tous.

Il commença par un collier de perles noires

Qui pouvait bien valoir,

Pensait-il,

Six ou huit francs

Car il était vraiment

D’un travail très soigné pour une pacotille.

Il entra dans une bijouterie

Un peu honteux d’étaler ainsi

Sa misère et vouloir se défaire

D’un trompe-l’œil si peu cher.

-Je voudrais bien savoir

À combien vous estimez ce sautoir.

Le collier est examiné par le marchand :

-Cela vaut quinze mille francs.

Le veuf ne comprenant pas demeura béant.

L’autre se méprit sur son étonnement :

-Cherchez donc ailleurs.

Mais si vous n’obtenez

Que des offres inférieures,

N’hésitez pas. Revenez.

Lantin pensa : « Oh ! l’idiot !

Si je l’avais pris au mot,

Voilà un bijoutier

Qui ne sait pas distinguer le faux du vrai !

Et rue de la Paix, il pénétra

Chez un célèbre joailler.

Dès qu’il aperçut le collier,

L’orfèvre s’écria :

-Je le connais bien, parbleu !

Ce bijou vient de chez moi, monsieur.

-Combien vaut-il ?

-J’en donnerai dix-huit mille.

-Examinez-le attentivement, monsieur.

J’avais cru jusqu’ici qu’il était en… faux

-Comment en êtes-vous détenteur ?...

Pardonnez,...je dois respecter les textes légaux.

Voulez-vous me dire votre nom, monsieur.

-Marc Lantin, je suis employé à la mairie.

Je demeure 16 rue de la Corderie.

Le marchand saisit son registre, l’ouvrit:

-Ce collier a bien été livré en effet

Le 20 juillet 1877,…

À Madame Lantin…

…16 rue de la Corderie.

Lantin remercia et salua le marchand.

Tout en marchant,

Il s’efforçait de comprendre comment

Sa femme avait-elle

Pu acheter un objet d’une valeur telle.

Non. C’était un présent ! Un cadeau !

Mais de qui et pourquoi, ce cadeau !

Un doute horrible l’effleura :

Les autres bijoux sont aussi des cadeaux

Ah ! il chutait de haut !

La terre semblait sous lui se dérober

Et un arbre devant lui tomber.

Il se ressaisit : comme on est content

Quand on a de l’argent !

Avec de l’argent, on se distrait !

Il revint rue de la Paix,

S’engouffra chez le marchand

Qui prit dans son tiroir en s’empressant

Dix-huit grands billets.

Lantin glissa l’argent

Lentement

Dans sa poche en disant :

-J’ai d’autres bijoux…de cette succession

…Seriez-vous dans les mêmes dispositions ?

Si vous le souhaitez,

Je vais vous les apporter.

Lantin retourna

À la bijouterie

En fin d’après-midi,

Un précieux coffret sous le bras.

Presque tous les bijoux venaient de cette maison.

Voici les estimations

En francs

Les brillants d’oreilles : vingt mille francs.

Les bracelets : trente-cinq mille

Les broches et les médaillons : seize mille.

Le diadème : onze mille.

Les bagues : vingt deux mille

Une parure de saphirs : quatorze-mille.

Le diamant : quarante mille.

Le tout atteignait plus de cent

Cinquante mille francs.

Cent soixante mille francs !

Lantin avait faim maintenant.

Il alla diner chez Voisin,

But du vin

À vingt francs la bouteille

Et s’en mit jusqu’aux oreilles.

Puis il fit un tour aux Tuileries.

Il regardait les passants avec mépris,

Oppressé du désir de leur crier :

« Je suis riche, j’ai deux cents mille francs ! »

Le lendemain, il se rendit

À la mairie

Pour donner sa démission.

Se moquant du qu’en-dira-t-on,

Il confiera, souriant :

-Comprenez,

J’ai hérité

De trois cents mille francs !

Puis il déjeuna au Grand Café Duguet.

Se trouvant à côté d’un monsieur distingué,

Il ne put résister longtemps

-Je viens d’hériter de quatre cents mille francs !

Et il riait.

Six mois plus tard, il se remariait.

Paterne MAIBRILLE