Aujourd'hui, petit évènement, car My Télé is Rich! accueille un nouveau pays : l'Estonie ! Une nouvelle étape dans mon exploration de l'Europe du Nord permise grâce à Eurochannel qui continue de nous faire voyager : après la danoise Lulu & Leon en février, elle va proposer en ce mois d'avril consacré à l'Estonie, Klass - Elu pärast. Et pour ma première série estonienne, je ne pouvais sans doute pas mieux tomber ! Il faut dire qu'elle n'est pas une inconnue, puisqu'elle s'est fait remarquer dans divers festivals sur la fiction européenne : elle a ainsi été récompensée par le Reflet d'Or au Festival Cinéma Tous Ecrans en 2009, et a remporté deux awards au Roma Fiction Fest 2010.
Plus précisément, la série est en réalité la suite d'un film estonien de 2007, Klass. S'il peut être recommandé d'avoir vu le film pour bénéficier d'une vue d'ensemble des évènements dès les premières scènes du pilote, la série ("Klass - Elu pärast" signifiant "La classe : la vie après") s'apprécie également indépendamment, traitant des suites du drame sur lequel se conclut le film. Initialement, le projet télévisuel devait voir le jour en 2009 et était envisagé pour une durée de 12 épisodes. Mais la crise économique a gelé un temps la production. Finalement, ce seront sept épisodes qui seront écrits par Margit Keerdo. La diffusion eut lieu à la fin de l'année 2010 en Estonie, sur ETV.
En France, Klass - Elu pärast (La Classe en VF) arrivera sur Eurochannel (canal 89 des bouquets SFR) le 29 avril prochain, à 20h. Et si la suite est à la hauteur de ce premier épisode, j'ai juste envie de vous donner un seul conseil : à vos agendas !
Klass - Elu pärast se déroule à Tallinn, la capitale de l'Estonie. Elle s'ouvre sur une tragédie qui va bouleverser tout un lycée, et plus généralement tout le pays, résultat dramatique d'une escalade de violences que nul n'aura pu arrêter à temps. Souffre-douleurs de leur classe, suite à des tourments plus humiliants encore lors d'une soirée à la plage, deux adolescents, Kaspar et Joosep, se sont laissés emporter dans une folie meurtrière auto-destructrice. S'étant procurés des armes, ils ont ouvert le feu en plein lycée, abattant à bout portant cinq de leurs camarades de classe et en blessant trois. Si le film traite des évènements qui conduisent à cette fusillade tragique, la série va, elle, s'intéresser aux suites de ce drame : peut-il y avoir une vie après pour les survivants ou les proches des victimes ?
La construction narrative de Klass - Elu pärast va lui permettre de balayer tous les points de vue pour traiter du traumatisme en lui-même, comme du travail de reconstruction de chacun, en s'intéressant à un personnage différent par épisode. Le pilote, traitant de l'immédiat après les coups de feu, suit ainsi Kerli, une adolescente à part dans la classe, qui va se battre pour que les véritables raisons du geste des deux meurtriers soient connues. L'épisode éclaire les réactions des élèves face à leurs responsabilités dans l'engrenage ayant abouti à la fusillade. Au fil de la série, Klass - Elu pärast traitera des conséquences des évènements aussi bien du point de vue des lycéens, de leurs parents (le deuxième met en scène le parent d'un des tués), de leur enseignant et, pour le dernier épisode, du tireur survivant.
Abordant sans détour un sujet difficile et très fort, la première chose qui marque devant Klass - Elu pärast, c'est son habileté à parfaitemennt négocier l'extrême sensibilité de son thème. Si la tragédie aurait pu entraîner un glissement lacrymal facile, il n'en est rien dans ce pilote qui fait preuve d'une justesse et d'une retenue impressionnantes. La force du récit tient ici à la sobriété de son écriture : c'est avec beaucoup de pudeur qu'est évoqué le traumatisme subi par les élèves, mais aussi par leur enseignant. Le soin apporté à la dimension psychologique se révèle impressionnant d'authenticité et de nuances. Si seuls quelques flashs au début de l'épisode montre au téléspectateur la fusillade, l'ombre de cette dernière pèse sur tout l'épisode. Il parvient à être à la fois sombre et poignant, sans éprouver jamais le besoin d'en faire trop, réussissant à proposer quelques scènes d'une intensité émotionnelle bouleversante par un simple échange de regards ou par un silence révélateur. Le pilote laissera au téléspectateur un arrière-goût amer (et quelques larmes salées).
Si la série peut être très dure en raison des évènements passés dont elle explore les conséquences, pour autant, elle entend aussi se tourner résolument vers l'avenir. Comme l'explique Margit Keerdo sur son blog, à mesure que Klass - Elu pärast va s'éloigner de la fusillade, les épisodes pourront être moins pesants, cependant le fil conducteur demeurera toujours ce futur en pointillé promis à ceux qui ont vécu d'une façon ou d'une autre l'évènement. Il s'agit de se demander quelle va pouvoir être la vie après ce basculement dans l'horreur tragique... est-elle d'ailleurs seulement possible ? Comment dépasser ce traumatisme tellement profond pour réapprendre à vivre ? Les insomnies de Kerli, ses flashbacks du jour du drame, illustrent bien les premières difficultés à surmonter. Au-delà de cet aspect, il est évident que les pistes de réflexion sont multiples à partir d'un tel sujet, et les thèmes à traiter particulièrement riches. Le potentiel est donc là : le premier épisode constitue une vraie claque dont le téléspectateur ne ressort pas indemme ; et on peut espérer que la suite de la série se poursuivra sur ces mêmes bases.
De plus, il faut saluer la double ambition dont fait preuve Klass - Elu pärast : non seulement elle entend explorer les suites d'une fusillade dans un lycée, mais en plus, elle ne va pas hésiter à complexifier et à troubler les statuts de victimes et de bourreaux. Aucune lecture purement manichéenne n'est en effet possible : le geste de folie meurtrière des deux adolescents est aussi un geste de désespoir contre des camarades qui ont d'abord été leurs tortionnaires du quotidien. Par les nuances et questionnements qu'elle met en scène, la série parvient ici à une force et une intensité rares. Celui qui connaît le film d'origine sait déjà quel fut le dernier élément déclencheur du carnage, cette soirée à la plage qui aura été l'humiliation de trop pour les deux jeunes tireurs, il a donc sans doute une empathie plus immédiate pour ces derniers. Mais pour un téléspectateur qui découvre les faits dans le pilote, la mise au jour de ce douloureux partage des torts est sans doute encore plus dérangeante et bouleversante.
Indirectement, Klass - Elu pärast exploite dans ce pilote un thème que je rapprocherais des séries japonaises centrées sur l'ijime (nom donné dans les écoles nippones à ces persécutions et brimades physiques et/ou morales subies par un élève). Pour avoir l'expérience de ces dernières, je dois dire que c'est vraiment la première fois que je regarde une série occidentale (et non asiatique) qui capture aussi admirablement toutes les dynamiques relationnelles à l'oeuvre - et leur violence - au sein de cette classe marquée par la tragédie. Le pilote traite avec beaucoup d'authenticité du déni dans lequel les élèves s'enferment, refusant de reconnaître leur responsabilité individuelle et collective dans le drame. Par la suite, la série pourra s'affranchir du cadre du lycée selon le personnage principal suivi (qui peut être un adulte) ; mais la subtilité apportée tant à la caractérisation des protagonistes qu'à leur psychologie laisse entrevoir de belles promesses pour prendre pleinement la mesure du sujet.
Marquante par la maîtrise de son sujet sur le fond, Klass - Elu pärast est également très intéressante sur la forme. Un réel soin est apporté à la réalisation, réactive et proche des protagonistes mais aussi capable de plans d'ensemble où la symbolique de la mise en scène apparaît maîtrisée. Le visuel de la série est travaillé jusqu'à la photographie épurée, où l'on retrouve des teintes dominantes froides. Certes, c'est une série estonienne : les moyens et le budget limités sont perceptibles, quelques micros passent parfois dans le champ de la caméra ; mais dans l'ensemble, la série se révèle solide sur le plan formel. De plus, elle bénéficie d'une bande-son nerveuse qui reflète bien la tonalité ambiante, entre déchirements et reconstruction ; à l'image de son générique (cf. première vidéo en bas du billet).
Enfin, Klass - Elu pärast dispose d'un casting homogène qui se met au diapason de l'atmosphère dramatique. C'est sur Triin Tenso qu'est centré le pilote : elle délivre une interprétation sobre qui sonne authentique. Mais la dimension chorale de la série permettra à plusieurs acteurs de s'imposer au fil des épisodes. Au Roma Fiction Fest 2010, Margus Prangel a ainsi remporté l'award du meilleur acteur dans une fiction dramatique pour sa performance de père de famille dans le deuxième épisode. En outre, on retrouve également parmi la galerie de protagonistes mis en scène, Vallo Kirs, Paula Solvak, Joonas Paas, Laura Peterson, Erik Ruus, Laine Mägi, Virgo Ernits, Kadi Metsla, Märt Meos ou encore Leila Säälik.
Bilan : Forte d'un sujet riche et poignant sur l'après d'une tragédie humaine bouleversante, Klass - Elu pärast est une série qui ne manque pas d'ambitions. Elle se démarque par l'authenticité de son écriture et la sobriété générale de son ton. Tout en révélant la face la plus sombre des dynamiques relationnelles adolescentes, il s'agit plus généralement d'une série qui traite avec subtilité du deuil et de la reconstruction après un traumatisme, lequel est dû autant aux drames provoqués par l'explosion soudaine de violence, qu'au poids de la part de responsabilité que chacun porte dans le déroulement des évènements.
En résumé, une série qui mérite le détour tant pour son sujet que pour la justesse de son approche humaine et psychologique. Et la preuve qu'on trouve des séries intéressantes jusqu'en Estonie !
NOTE : 8/10
Le générique :
La chanson de la série (avec quelques images) :