Trois jours après le coup d’État militaire, la confusion règne au Mali. Parmi les plus pauvres au monde, le pays est la cible des attaques d’Aqmi et de la rébellion touareg.
Couvre-feu dans la capitale
"Samedi, la journée a été beaucoup plus calme que les deux jours précédents, on n’a presque plus vu de pillages ni de cambriolages", explique une Française vivant à Bamako. "Mais on voit que les gens ne sortent pas beaucoup de chez eux, tout le monde fait très attention." Les principaux magasins et le marché du centre-ville sont restés fermés hier. Craignant de nouveaux troubles, les habitants se sont rués dans de petites échoppes pour faire des provisions de nourriture. Et si les véhicules militaires se font plus rares, le couvre-feu a été maintenu. L’aéroport international est toujours fermé et toutes les frontières terrestres restent bouclées.
Aucune nouvelle du président
Depuis mercredi soir, aucune nouvelle du président déchu. Il y a vingt et un an, le général Amadou Toumani Touré (dit "ATT") prenait le pouvoir par la force avant de le confier à des civils élus et d’y revenir, lui aussi, par les urnes en 2002. Depuis, le Mali était devenu un exemple de stabilité politique dans la région. À la différence du Sénégalais Wade, ATT n’a pas modifié la Constitution pour se représenter une troisième fois cette année. Son tombeur, le capitaine Sanogo, assure qu’il va bien. "Je ne vous dirai pas où il est, a-t-il déclaré dans une très brève allocution télévisée. Il va très bien et nous ne toucherons à l’intégrité physique de personne." Hier soir, toutefois, les diplomates du Quai d’Orsay ignoraient le sort réservé au président malien. "Il pourrait être réfugié quelque part dans Bamako entouré de fidèles, notamment des bérets rouges de sa garde présidentielle." "Vendredi soir, on a cru à un contre-coup d’État et à la mort du capitaine Sanogo, explique un diplomate français. Deux annonces démenties. Les putschistes ont l’air très isolés mais il est impossible de savoir comment les choses vont tourner." Hier soir, Sanogo a toutefois compris qu’il devait rassurer. Il s’est ainsi entretenu avec l’ambassadeur de France.
Les raisons du coup d’État
Tout part mercredi d’une caserne située à Kati, à 15 km de Bamako. Une visite ministérielle tourne mal. Excédés par les discours officiels qui ne prennent pas en compte leurs revendications (plus de moyens pour lutter contre les Touareg et Aqmi), des soldats obligent le ministre de la Défense à déguerpir. Dans la foulée, les hommes s’arment et marchent sur Bamako, la capitale, où ils prennent facilement la télévision d’État et le palais présidentiel. "Cet événement ressemble plus à une mutinerie spontanée qu’à un véritable coup d’État, estime Céline Thiriot, spécialiste des questions politiques en Afrique subsaharienne à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. Les élections étaient programmées pour le 29 avril, le président ne se représentait pas et la compétition était très ouverte. Presque aucun gradé n’a rejoint les mutins et je ne crois pas du tout à un complot ourdi par les pays frontaliers." La mutinerie s’explique donc d’abord par la passivité d’ATT face aux très grandes difficultés que rencontre l’armée dans le Nord et le Centre face à Aqmi et aux rebelles touareg. Ces derniers ont d’ailleurs annoncé hier être sur le point de prendre la ville de Kidal, l’une des plus importantes du Nord- Est du pays.
Aqmi-Touareg, la menace aux deux visages
"Il ne faut pas commettre d’amalgame entre rébellion touareg et Aqmi, prévient Céline Thiriot.Ce sont deux entités qui n’ont rien à voir. Aqmi est une nébuleuse terroriste dont se revendiquent certains mouvements et qui profite de la faiblesse des États dans la région pour commettre notamment des enlèvements. Après s’être mobilisés il y a vingt ans, les Touareg revendiquent désormais une plus grande reconnaissance de leur identité et même, pour les membres du MNLA* depuis janvier, une autonomie. Ils agissent tous à peu près dans la même zone géographique mais leurs revendications et leurs modes d’actions ne sont pas les mêmes." Face à cette double menace, le président Touré accumulait les reproches. Les six otages français enlevés dans le Sahel? "Touré constitue le maillon faible dans la lutte contre Aqmi", confiait il y a peu Alain Juppé. La rébellion touareg, dont beaucoup d’hommes, ex-mercenaires dans les milices de Kadhafi, sont rentrés armés jusqu’aux dents de Libye? Le président a admis lui-même qu’une faction dissidente du MNLA, Ansar Dine, était en lien avec Aqmi. Dans leur première intervention télévisée, les putschistes ont dénoncé "l’incapacité notoire à gérer la crise qui sévit dans le nord du Mali". Pris entre ces deux feux, le Mali doit également gérer une situation humanitaire gravissime. "La crise alimentaire qui s’annonce pour cette année sera sans doute plus dure que les précédentes", prédit Johanne Sekkenes, chef de mission pour Médecins sans frontières, jointe hier à Bamako. "La sécheresse s’aggrave chaque année davantage, dit-elle, les conséquences sont dramatiques, notamment chez les enfants."
* MNLA, Mouvement national de libération de l’Azawad.
Alexandre Duyck - Le Journal du Dimanch