” Votre sourire fut l’origine du monde. J’entrevis cette lacune qui gouvernait ma vie, cet absolu qui me manquait depuis toujours.”
Ce roman retrace un amour impossible. La narratrice a quatorze ans lorsqu’elle tombe follement amoureuse de sa prof d’anglais, une femme assez froide, loin d’être un canon de beauté. Rapidement, la jeune fille a l’impression que la femme qu’elle aime l’a prise en otage à son corps défendant, qu’elle ne s’appartient plus et se sent littéralement gouvernée par cet amour qui devient chaque jour un peu plus destructeur. Les conséquences de la passion se font vite ressentir : troubles du comportement alimentaire, extrême solitude, délire alors que ses parents, impuissants face à cet amour, décident de l’inscrire dans un autre établissement scolaire. Mais cela ne va pas l’empêcher de devenir “le jouet d’une force qu’ [elle ne maîtrisait] pas”.
Plus que le récit d’un amour homosexuel (car les conséquences pourraient être exactement les mêmes dans le cas d’une passion pour un être de sexe opposé), Bénédicte Heim écrit une quête de l’impossible, un besoin terrible d’absolu, celui de de la fusion. L’amour est vécu comme une blessure, une plaie ouverte, qui permet de se sentir parfois en osmose avec le monde, mais qui possède une puissance destructrice infinie. Les rouages et les ravages de la passion sont décrits de façon très juste. La narratrice est à la fois “geôlière et prisonnière de ses sentiments”, envisageant l’objet de son amour comme un idéal, une divinité. Peu à peu, la jeune fille se rend compte qu’elle s’achemine vers sa perte…
En quelques mots, ce roman illustre une vision tragique de l’amour : ou je suis aimé(e) de la personne dont je suis épris(e) ou je meurs.
Un récit magistral et un auteur à découvrir absolument !
“Ce sourire s’est produit il y a une vingtaine d’années et il continue d’agir encore aujourd’hui. C’est là que j’ai été alertée, arrêtée. J’ai vécu l’expérience inverse. Le sourire en moi a ouvert, oui, mais il a tranché, sectionné. Il a ouvert la voie au désir inextinguible, à la déroute, à la béance d’une faim incommensurable qui se dévore. Le sourire s’est posé sur ma vie alors que l’unité régnait, les bords de ma vie et les bords du monde coïncidaient et puis, tout a basculé : j’ai entrevu simultanément l’absolu et son évanouissement.”
Bénédicte Heim, Soleil cou coupé, Les contrebandiers éditeurs