Je suis très peu disponible, j'ai lu le dernier roman de Salim Bachi, mais n'ai pas pu en faire la critique hélas, hormis ce mot que j'ai adressé à l'auteur, via sa page facebook, il y a quelques jours:Bonjour Salim. Je viens de lire ton petit dernier. J'ai apprécié ton approche sociologique (et non idéologique) du destin de Kelkal. C'est un monologue intérieur poétique d'outre-tombe, "je suis mort, assassiné par trois gendarmes, 'Finis-le!'''. Ou comment le rejet (ou le sentiment de rejet) quasi permanent d'une personne (le raton, je l'ai vécu ô combien de fois dans les années 70), de ses parents, des siens, peut l'amener (en combinaison avec d'autres raisons, d'autres causes) aux pires extrêmes. J'ai beaucoup pensé à "Tuez-les tous" par le contenu, par le graphisme. Bravo. Et merci. 11.03.2012._______________
El Watan le 10.03.12
Le dernier roman de Salim Bachi «Moi, Khaled Kelkal»
Comment devient-on l’ennemi public numéro Un ?
Le nouveau roman de Salim Bachi, intitulé Moi, Khaled Kelkal, se lit comme une biographie romancée de celui qui fut désigné, dans les années quatre-vingt dix en France, comme l’ennemi public numéro un. C’est un exercice littéraire qui réussit bien à l’un des meilleurs auteurs algériens qui avait déjà fréquenté cette thématique. On se souvient de Tuez-les tous, où il raconte le parcours d’un des participants aux attentats du 11 septembre 2011 de New York. Avec cette toute nouvelle livraison, c’est l’âme du jeune de la banlieue lyonnaise qui a mobilisé toutes les forces de l’ordre de France, que l’auteur nous propose de pénétrer. Cette fiction emprunte à la réalité historique son déroulement implacable, où l’on voit les drames individuels et collectifs se muer en tragédie. Avec son écriture dépouillée et sobre, Salim Bachi parvient à restituer l’état d’esprit d’un jeune que la société a relégué dans les ténèbres de la bêtise humaine.
La trame du roman n’est pas linéaire et épouse les contours d’un cerveau torturé par l’incompréhension et les coups durs de la vie. Le narrateur, qui n’est autre que Khaled Kelkal, vadrouille dans sa vie comme un explorateur sans boussole. Les événements se succèdent pêle-mêle dans sa tête, puis une sorte de hiérarchie s’établit par elle-même et permet aux pièces du puzzle de s’agencer. D’emblée, on est au cœur de l’action. L’acte inaugural qui met au monde la dure légende de Khaled Kelkal. Elle va naître au cœur de Paris, dans une rame de métro à la station Saint-Michel. Dans cet attentat où les corps déchiquetés portent les stigmates d’une bombe fabriquée sur le tas, Khaled Kelkal et son compère Mehdi savourent à distance les relents sanguinolents d’une victoire longtemps attendue.
Au fur et à mesure que les souvenirs du premier s’égrènent, le lecteur fait connaissance avec une galerie de personnages atypiques. On apprend que Mehdi est l’artificier attitré des groupes armés intégristes en Algérie. Ses méfaits ont causé des centaines de morts à Alger. Devant l’étau des forces anti-terroristes qui se resserre autour de lui, il s’exfiltre en France. Il est chargé d’installer des cellules terroristes à Paris, Lyon et Lille. Il apprend à Khaled Kelkal comment fabriquer une bombe à partir de quelques composants rudimentaires et accessibles. C’est cette rencontre des deux jeunes hommes, Khaled et Mehdi, qui fait entrer en scène Khélif. Il est considéré par Khaled Kelkal comme son maître à penser. Ils se sont connus dans la prison où le futur ennemi public purgeait une peine de quatre ans.
Une condamnation qu’il a jugée disproportionnée par rapport au délit commis. Khaled Kelkal a osé voler la voiture du président de l’Olympique Lyonnais, puis de l’utiliser comme voiture-bélier pour commettre un vol. Lors de la confrontation avec le patron du club-phare, il se rend compte qu’on ne s’attaque pas impunément aux puissants. L’univers carcéral va l’aguerrir et lui faire perdre toutes illusions sur le genre humain. C’est dans ces espaces clos qu’il commet son premier meurtre : «Je me souviens que j’ai dû en planter un dans les douches parce qu’il voulait me voler mes pompes, elles lui plaisaient, il en rêvait, mais dans son cas, ce n’était qu’un prétexte, une entrée en matière, alors j’ai trouvé un autre damné qui m’a procuré une tige en métal».
Ce coup d’éclat l’aide à se faire respecter parmi les autres prisonniers. Après ce qui s’apparente à une grève de la faim, il tombe dans la même cellule que Khélif qui va l’endoctriner et l’initier à une pratique religieuse fondée sur le rejet de l’autre. Khaled Kelkal rejoint rapidement la légion des soldats de la foi prêts à en découdre avec tous les mécréants qui peuplent la terre. Bénéficiant d’une remise de peine pour bonne conduite, il retrouve Khélif qui lui facilite l’enrôlement dans la cellule terroriste de Lyon. Les attentats en France, en exploitant le désœuvrement et l’absence de repères des jeunes de banlieues, aideront à donner un second souffle aux maquis intégristes défaits en Algérie.
Il évoque aussi une autre personne qui a compté dans sa vie : sa femme, Linda, qu’il décrit comme le diable incarné. Il l’accuse même d’avoir tout fait pour le séduire afin qu’elle l’épouse alors qu’elle n’aurait été qu’une fille de petite vertu : «Linda était de cette qualité de femmes qui prolifèrent ici. Je ne les aime pas beaucoup. Ce genre sans opinion suit le troupeau et se fond dans le milieu comme un caméléon». Il se débarrasse d’elle et repart en Algérie pour prendre le pouls de son pays natal. Son séjour coïncide avec les années noires du terrorisme. Mostaganem et son cousin Faouzi achèvent une bonne fois tous ses espoirs de s’y installer. Faouzi fait tout pour le dissuader et le faire revenir en France.
Le dernier épisode de sa vie va se jouer sur l’échec de l’attentat à la bombe qu’il a posée sur la ligne TGV Lyon-Paris. La bonbonne de gaz n’ explose pas au passage du train. La police scientifique entre en scène et retrouve sa trace grâce aux empreintes digitales. Sentant le danger, il s’enfuit dans les forêts environnantes du Rhône avant d’être abattu sous l’œil des caméras de télévision. Avec le récit de cette histoire d’outre-tombe, l’auteur ne cherche à susciter ni émotion ni compassion, mais juste donner à voir une trajectoire terrible et criminelle en faisant éventuellement réfléchir le lecteur sur sa survenance. Salim Bachi a su restituer avec talent tous les avatars d’une vie tumultueuse et tragique.
*Salim Bachi. «Moi, Khaled Kelkal», Ed. Grasset, Paris, 2012.
Slimane Aït Sidhoum
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Dans la tête de Khaled Kelkal - le 15-03-2012
Salim Bachi, l'auteur de «Tuez-les tous» et du «Silence de Mahomet», s'est glissé dans la cervelle détraquée du terroriste dont le nom claque encore comme celui d'un des pires cauchemars de la France des années 1990.
Vous verrez qu'il se trouvera un jour un romancier assez gonflé pour écrire l'autobiographie fictive de Ben Laden. Salim Bachi, peut-être? L'auteur de «Tuez-les tous» et du «Silence de Mahomet» s'était risqué, en 2006, à raconter les dernières heures d'un kamikaze du 11-Septembre. Le voici qui récidive en se glissant dans la cervelle détraquée de Khaled Kelkal, dont le nom claque encore comme celui d'un des pires cauchemars de la France des années 1990.
Comment un petit voyou de Vaulx-en-Velin devient-il ennemi public n°1? Comment se laisse-t-on convaincre de semer des bonbonnes de gaz pleines de clous avec la régularité d'un distributeur de tracts contre la réforme des retraites? Comment peut-on crever, à 24 ans, troué par onze balles sous le regard obscène du JT et les cris tendus d'un gendarme («Finis-le! Finis-le!»)?
On l'a fini. Le 29 septembre 1995, deux mois et quatre jours après l'attentat du RER Saint-Michel, ses huit morts et sa centaine de blessés: «Justice a été faite devant une caméra de la télévision, au lieu-dit Maison-Blanche, non loin des contreforts du Lyonnais.»
Parce que personne ne saura jamais, faute de procès, quelle bouillie conceptuelle macérait sous le crâne de cet «archange exterminateur», Bachi l'a imaginé. Son bref roman est un étrange monologue d'outre-tombe, plein de fureur et de versets sataniques, où ce que Camus appelait la «casuistique du sang» vire à la confusion mentale.
On y retrouve les étapes d'un parcours hélas classique: le racisme ordinaire subi par un jeune Algérien déraciné; les vols de bagnole «sans réfléchir»; la prison, surtout, où il n'y a guère qu'un certain Khélif pour le sauver du suicide, et le regonfler en évoquant Khalid Ibn al-Walid, cet homonyme qui «devint le plus grand guerrier de l'histoire» au côté de Mahomet.
Si le Khaled Kelkal de Bachi fait froid dans le dos, ce n'est pas seulement parce qu'il se perçoit comme un «glaive de l'islam» décidé à exécuter «les innocents coupables d'ignorer». C'est parce qu'il est ce que seul un écrivain pouvait montrer: un pauvre type transformé en «poupée ventriloque», une sorte de conscience vide où les mots des autres se bousculent et dansent, jusqu'au vertige.
Grégoire Leménager
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http://www.humanite.fr
1 Mars 2012 - Littérature
Une autobiographie fictive de Khaled Kelkal
L’écrivain algérien Salim Bachi, né en 1971, revient sur le personnage du jeune délinquant devenu terroriste et abattu par les forces de l’ordre en 1995.
Moi, Khaled Kelkal,de Salim Bachi. Grasset, 136 pages, 15 euros. L’écrivain algérien Salim Bachi se met dans la peau de celui qui fut désigné comme l’ennemi public numéro un à 24 ans, après l’attentat qui fit huit morts et une centaine de blessés, le 25 juillet 1995, à la station Saint-Michel. Interpellé deux mois plus tard, il est abattu de onze balles par les parachutistes de l’Epign. Le projet de Salim Bachi semble à première vue rejoindre l’engouement d’un nombre croissant d’auteurs délaissant peu ou prou l’autofiction pour la vie de personnages qui furent un temps sous les feux de l’actualité. Le romancier, en la matière, n’en est pas à son coup d’essai. Dans Tuez-les tous (2006), il mettait ses pas dans ceux de l’un des terroristes des Twin Towers. Dans Amours et aventures de Sindbad le Marin (2010), il devenait Sindbad, un héros postmoderne dans un monde globalisé. Auparavant, avec le Silence de Mahomet (2008), le prophète en personne disait « je » dans le texte. En 2003, le narrateur de la Kahéna n’était autre qu’un colon revenu en Algérie en 1990, tandis que le Chien d’Ulysse (2001, prix Goncourt du premier roman) mettait en scène un Ulysse algérien.
Cette fois, cela ressemble au journal d’un condamné à mort lucide, capable de faire son propre procès en même temps que celui de l’époque et d’une société qui le refuse. Fils d’émigrés algériens, né à Mostaganem en 1971, Khaled Kelkal arrive en France deux ans plus tard pour rejoindre son père ouvrier à Vaulx-en-Velin. L’engrenage fatal a lieu dès le licenciement du paternel. Kelkal est arrêté pour casses à la voiture bélier. C’est en prison, cet « anus du monde », qu’il se lie avec Khélif qui fait son éducation religieuse À sa sortie c’est Mehdi, « un salaud intégral avant d’être un croyant intégriste », qui sera là pour activer le processus qui mènera Kelkal à la mort. Une langue constamment rugueuse, violente à dessein fait tout le prix de ce compte rendu sans concession d’une révolte. L’écriture procède par retours en arrière, répétitions voulues, citations détournées, phrases à l’emporte-pièce. L’auteur évoque aussi le paradis perdu d’une brève enfance en Algérie, quand « l’islam n’était pas encore advenu », puis remonte plus loin encore, jusqu’à ce tableau vivement brossé d’un Maghreb rouge où l’on se nourrissait de « patates socialistes ».
M. S.
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