Quand on circule dans le RER parisien au milieu de la campagne d’affichage du nouvel album de Justice, « Audio, Video, Disco », tout en écoutant le disque en question, on constate que l’univers sonique du duo français colle parfaitement avec ce décor urbain rétro-futuriste. Pour son deuxième opus, Justice a vu les choses en grand tout en cherchant à refléter une certaine forme de sincérité musicale. Explications.
A Cross The Studio
Les dernières apparitions médiatiques de Xavier de Rosnay et Gaspard Augé (alias Justice) remontent à la sortie du DVD « A Cross The Universe » à la fin de l’année 2008. Ce témoignage vidéo retraçait le périple du duo français à travers les Etats-Unis et les coulisses de ses prestations électriques. Sur scène ou en club, on retrouvait cet envie de mélanger les genres et les époques : un solo de guitare extrait de « Master Of Puppets » (Metallica) pouvait côtoyer un sample de Franz Ferdinand, une boucle de Mr Oizo ou une ligne de basse empruntée à Soulwax (ils ont remixés ces trois derniers). Ces fans de Prince et de Michael Jackson s’affirmaient comme de vraies rock stars sans guitare ni micro. On ne s’étonnera donc pas, aujourd’hui, de découvrir la musique gourmande et pantagruélique de leur nouvel opus. Première nouveauté avec « Audio, Video, Disco », c’est l’orientation de ce disque, cette fois-ci assez loin des dancefloors et proche de ce qu’un vrai groupe pourrait produire en studio, alors qu’ici, ce sont les machines et les programmations qui font le travail. Xavier de Rosnay, l’une des deux têtes pensantes, confirme : « Même si notre disque sonne comme s’il avait été interprété par un vrai groupe, tout a été fait via l’électronique. Nous souhaitions conserver cette esthétique propre aux machines car nous ne sommes pas de bons instrumentalistes. Le fait que nous ne jouions pas ses morceaux en live permet de garder un style qui nous est propre. Toutes les parties instrumentales ont été jouées par nous-mêmes sur ce disque puis nous avons passé du temps à tout caler via des logiciels, car nous jouons assez mal. Si l’album avait été interprété avec de vrais instrumentistes, les chansons ne seraient pas aussi carrées. » On le sait depuis plus de 30 ans, les machines ont permis à toute une génération de « mauvais instrumentistes » de pouvoir quand même s’exprimer à travers la musique. Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir garder le rythme et les machines jouent parfaitement leur rôle de « béquilles » dans ce domaine.
A simple plan
« Nous écrivons nos chansons d’une manière très simple avec juste un piano et une guitare, par exemple », poursuit Xavier. « Puis, nous enregistrons le tout bout par bout. Certaines parties de batterie sont enregistrées en live car nous voulons retrouver un certain grain au niveau du son. Par la suite, nous redécoupons la partie de batterie pour l’assembler à notre convenance en la reprogrammant. C’est pour cela qu’il nous faut beaucoup de temps pour enregistrer nos morceaux. C’est vraiment un travail de nerds de studio. Comme les parties de batterie sont trop dures à enregistrer, on a choisi le moyen le plus simple pour en produire par nos propres moyens. » Il est vrai que « Audio, Video, Disco » arrive après 4 années passées à sillonner les routes du monde et à travailler sur différents projets, dont le Ep « Planisphère » enregistré pour le compte d’un défilé Dior. « Cela nous a pris 1 an et demi pour concevoir ce nouveau disque. Avant, nous avons passé 6 mois à mettre au point notre home studio dans un appartement parisien. Pour nous, c’était quelque chose d’important car cela conditionne la façon dont tu vas travailler. En même temps, nous n’y connaissons pas grand-chose en terme de matériel, nous ne sommes pas de bons techniciens. Cela nous prend donc du temps pour tester les choses avant que l’on trouve un moyen de correctement mettre en forme la musique que l’on a dans notre tête. C’était important pour nous que ce disque ne sonne pas d’une manière aussi agressive que le premier, que l’on ait la sensation qu’il a vraiment été conçu à la maison, qu’il ne soit pas sans défauts » , poursuit Xavier.
Justice n’aime pas faire les choses d’une manière conventionnelle et cela lui sied plutôt bien jusqu’à présent. De l’explosion commerciale du single « D.A.N.C.E. » à la polémique engendrée par le vidéo-clip « Stress » en passant par le générique du Grand Journal de Denisot sur Canal + (un remake du « Superstition » de Stevie Wonder) ou le remix du « Me Against The Music » de Britney Spears, Xavier et Gaspard aiment côtoyer tous les univers et fuir les conventions. Xavier confirme : « Nous faisons de la musique sans vraiment connaître les techniques d’écriture et d’enregistrement. Nous faisons donc des choses qui ne sont pas conventionnelles et qui ne sont pas parfaites d’un point de vue strictement technique. Mais, c’est ce qui nous intéresse le plus aujourd’hui. »
Discovery 2011 ?
C’est en mars de l’année dernière qu’est apparu le premier extrait du nouvel album à venir, « Civilization », avec un vidéo-clip montrant une bande de bisons complètement désorientés. Ce single est considéré comme la charnière entre le premier (vendu à 800 000 exemplaires) et le deuxième album. Lorsqu’on pose la question des influences de « Audio, Video, Disco », disque qui pourrait être joué dans de grands stades américains, Xavier précise : « Nous sommes assez naïfs dans la façon dont nous composons notre musique. Ce disque est comme un album de rock progressif mais fait d’une façon simplifiée à cause de nos limitations en tant que musiciens. Nous aimons avant tout la musique simple qui véhicule des émotions simples. Lorsque l’on veut complexifiée la musique, il y a toujours un moment où l’émotion n’est plus présente. » Avec « Audio, Video, Disco », Justice reprend un peu les choses là où Daft Punk les avaient laissées avec « Discovery » en 2001, époque où l’on découvrait un autre duo français qui souhaitait également concevoir sa musique électronique comme si elle avait été interprétée par de vrais musiciens. C’est donc un état d’esprit similaire que l’on retrouve sur le nouveau Justice. Xavier : « Tout le monde a sa définition de ce qu’est la musique progressive. Je pense, par exemple, que « Revolver » des Beatles est un super album progressif. Mais, rien n’est vraiment calculé, nous essayons de concevoir notre musique de la plus honnête des façons. Il n’y a pas de second degré dans ce que l’on fait. Tout est toujours très naïf et on souhaite que ça le reste. Nous n’écoutons pas des disques pour leurs qualités techniques. On se dit que si nous aimons vraiment la musique que nous produisons, d’autres personnes pourront forcément l’aimer. »
Prog-electro
Quand on se place dans la position du grincheux qui proclame que le rock progressif est quand même un peu passé de mode, Xavier rétorque : « Sincèrement, je ne sais pas ce qui est à la mode ou non. Si l’on commence à réfléchir à ce qui est cool ou pas cool, la confusion peut s’installer, donc il ne vaut mieux pas trop y réfléchir. » Comme en son temps pour « Discovery » des Daft, le nouveau Justice pourrait également donner lieu à une liste complètes de références en tout genre qui irait des Beatles en passant par Todd Rundgren, Led Zeppelin, Genesis, Stevie Wonder, Queen (la batterie de « Parade »), Yes, Electric Light Orchestra, Supertramp (la ligne de clavier de « Newlands ») ou Stratovarius, en gros une période musicale allant de 1975 à 1985 et comprenant pêle-mêle le hard-rock, le soft-rock, le krautrock, le rock-progressif et l’electro-funk (« Helix », véritable clin d’œil aux Daft). Xavier : « Nous ne pouvons pas lutter contre les choses qui nous influencent. Elles ressortent forcément à un moment donné dans notre façon de concevoir la musique. »
Texte : Laurent Gilot
Photo : DR
Justice, « Audio, Video, Disco » (Ed Banger/Because)
Sortie le 24 octobre 2011
Justice, Civilization, video