Mais lundi, à 8 heures, la campagne fut stoppée net. Un fou venait d'exécuter quatre personnes, dont trois enfants, dans une école juive à Toulouse. Sarkozy reprit son costume de président.
Se saisir de l'évènement
Il voulut suspendre la campagne des autres. La sienne, il la poursuivit depuis l'Elysée: deux interventions lundi, puis quatre autres, longuement filmées, le lendemain: Sarkozy à l'Elysée, Sarkozy à Toulouse, Sarkozy avec des collégiens, Sarkozy avec des militaires.
Mercredi, il fut à peine plus en retenue. Il y eut un moment d'union sacrée, avec la présence de 5 candidats, graves et tristes, dans la caserne de Montauban, pour un hommage aux 3 militaires exécutés les 11 et 15 mars par le même tueur. Un moment gâché par des sbires du Monarque qui ne supportaient pas, depuis la veille déjà, que d'autres que leur mentor puissent s'associer à la douleur des victimes et la rigueur des enquêteurs.
Mercredi, nouveau coup de théâtre. Le tueur avait été localisé, et encerclé par quelque 200 policiers, à Toulouse dès 3 heures du matin. Il s'appelle Mohamed Merah, 23 ans, et sera tué le lendemain lors d'un assaut final. Au fil des 32 heures de siège, il a tout revendiqué et tout donné, le scooter utilisé pour ses meurtres, la voiture où étaient cachés explosifs et armement, ses prochaines cibles. Il s'est réclamé d'Al Qaïda. Le ministre de l'intérieur Claude Guéant était sur place. Le show fut continu, sur toutes les chaînes et radios d'information. Les médias furent abreuvés comme des oies que l'on gave pour un mauvais foi gras. Il fallait qu'ils ne parlent que de ça. Même les journalistes politiques, dont certains avaient l'oreillette reliée au plus près du pouvoir, furent transformés en chroniqueurs judiciaires.
Après l'issue fatale, on s'interrogeait: pourquoi tout ce cirque filmé comme un mauvais film hollywoodien ? Pourquoi la DCRI qui Mohamed Merah depuis ses séjours chez les Talibans avait-il pu commettre de tels actes ?
Alors que le forcené était maîtrisé et abattu, après quelque 300 balles échangées, jeudi matin à 11h37, le secrétaire désigné de l'UMP Jean-François Copé accusait encore François Hollande de ne pas avoir « respecté le temps du deuil ».
Manipuler l'opinion
Immédiatement, Sarkozy rassembla ses ministres et, à 13h, il avait imaginé une nouvelle loi: sanctionner pénalement celles et ceux qui visiteraient régulièrement des sites de propagande terroristes ou visiteraient des camps d'entrainement. Même les experts les plus dociles restaient perplexes. Encore une loi décrétée à chaud, dans l'émotion, sans aucune chance d'être votée avant juillet faute de parlement.
Depuis 2007, la boulimie législative de Nicolas Sarkozy en matière sécuritaire, pour de si mauvais résultats, n'a d'égal que son inefficacité: rétention de sûreté et peines planchers en août 2007 (8.000 par an, parmi 2,5 millions de crimes et délits constatés chaque année), filtrage des sites internet, Loppsi II, décret anti-cagoule depuis juin 2009, loi anti-bandes, videoprotection prétendument facilitée, légalisation des milices privées, dépistage obligatoire de maladies sexuellement transmissibles, autorisation des contrôles d'identité et fouille sans motif par les polices municipales, etc. Une boulimie fustigée en juillet dernier par la Cour des Comptes. Jeudi, le conseil constitutionnel avait même censuré le fichier des honnêtes gens.
Ne fallait-il pas poser la question des moyens ? En deux ans, les effectifs de la DCRI avaient été réduits de 12%. En 5 ans, les forces de l'ordre avaient perdu 12.000 postes. En 10 ans, les atteintes aux personnes avaient cru de 150.000 actes.
Dès jeudi soir, le candidat sortant était à nouveau en meeting, à Strasbourg. Il consacra un long paragraphe, presque la moitié, de son discours au drame de Toulouse. On avait dit « pas d'instrumentalisation »... n'est-ce pas ?
Il était encore trop tôt pour mesurer l'impact de cette tragédie sur la campagne, l'efficacité de la manipulation médiatique du Monarque sur l'opinion. Côté sondages, la cote du candidat sortant s'était redressée, Marine Le Pen s'était affaissée. La vraie surprise vint de Jean-Luc Mélenchon, propulsé en troisième position grâce à son meeting de la Bastille. Mais fondamentalement, le rapport de forces restait inchangé. De lundi à jeudi, la campagne fut au moins suspendue dans les décomptes de prises de parole du CSA. C'était malheureux. Sarkozy s'était engouffré dans la brèche.
Occulter les vrais sujets
L'affaire Merah terminée, nous pouvions nous inquiéter des vrais sujets, se rappeler de cette étonnante émission Capital sur M6, dimanche dernier. Devant quelques reportages et un journaliste insistant, le candidat sortant avait sombré. Pauvreté, endettement, chômage, précarité sanitaire, ségrégation scolaire, Sarkozy n'avait pas de réponses, que du déni.
En fin de semaine, il partit à Valenciennes, se montrer enfin avec Jean-Louis Borloo qui ne boudait plus. Le président du Parti radical a peut-être sauvé sa place de député et le million d'euros que lui file l'UMP chaque année pour faire vivre son mouvement. Sarkozy parla logement social. Sa grande idée avait été d'autoriser 30% de surfaces constructibles. Comme si le manque de logements en France était un problème de normes.
On pouvait donc parler de notre Sécurité sociale. De meetings en discours, Sarkozy se félicite de sa rigueur. Mais la Sécu creuse son trou, à près de 10 milliards d'euros cette année. Les cotisations ne rentrent plus. Les exonérations se multiplient, autant que les déremboursements. Dimanche dernier, le Monarque s'exclamait encore: « en France, se soigner, c'est gratuit ». Pour qui ? Xavier Bertrand vient de signer un décret imposant aux mutuelles et assurances de rembourser les dépassements d'honoraires en chirurgie, anesthésie-réanimation et gynécologie-obstétrique. Une mesure discrète qui promet de nouvelles augmentations des tarifs des mutuelles...
On pouvait enfin parler de la vie chère et du pouvoir d'achat. D'après une évaluation gouvernementale publiée vendredi mais peu commentée, les salariés des entreprises de plus de 10 employés ont été augmentés deux fois moins que l'inflation au dernier trimestre 2011. Et en rythme annuel, le pouvoir d'achat a baissé de 0,1%.
Sarkozy, c'était aussi la croissance molle. Les optimistes diront que nous sommes sortis de la récession. Pour 2012, la prévision de croissance a été révisée de 0,5 à 0,7%, mais rabaissée pour 2013, à 1,75%. Et le chômage devrait franchir le seuil de 10% de la population active d'ici juin. Les chiffres de février seront connus lundi. La production nationale n'a toujours pas recouvrée son niveau d'avant crise.
Ami sarkozyste, où es-tu ?