Pas de rideau, on n'entre pas dans la salle d'opéra mais dans un club où sont réunis les amis de Madame Larina et d'Olga.
L'action de l'Oneguine warlikowskien débute dans la nuit du 20 au 21 juillet 1969 peut-être près de Moscow Ohio ou de St Petersburg Florida dans un cercle où sont réunis les nombreux amis (figurés par le choeur par 90) de Madame Larina, deux grandes salles contigues dont les grandes fenêtres donnent sur un paysage semi-industriel peut-être d'autoroutes et de panneaux publicitaires vantant par exemple la Carlsberg. Une société où les hommes et les femmes vivent le plus souvent séparés. A gauche la vaste salle de billard où les hommes sont appuyés contre un grand mur aux parois miroitantes. A droite la société des femmes causent en fumant et buvant dans des fauteuils clubs aux couleurs pastels et regardent la télé dont le mini écran (fin des années 60 oblige) diffuse une compétition de patinage artistique sur des musiques convenues, russes ou viennoises. Au fond, devant les baies vitrées des machines à sous, des bandits manchots. Les amies font tapisserie pendant que Madame Larina, Madame Filipjewna et les deux filles Larin discutent des choses de l'amour avec des points de vue différents liés à l'âge et à l'(in)expérience. On s'habille en pantalons pattes d'éléphant ou en mini-jupes, la mode est au post-hippie romantique coloré, on a déjà intégré Courrèges et Mary Quant, les femmes aiment les coiffures en coques gonflées par l'hairspray. Pour se divertir, on chante des chansons d'amour dans des micros comme pour un radio-crochet, ou on danse le twist, mais Tatiana préfère la lecture, elle est plongée et absorbée dans un livre, grande adolescente gauche et mal grandie, en retrait de l'agitation du cercle. Olga est amoureuse et attend l'élu de son coeur.
C'est la première inversion, le déplacement de l'action, si l'opéra est encore chanté en russe, la mise en scène de Krzysztof Warlikowski ne se situe plus dans les milieux de l'aristocratie russe provinciale mais beaucoup, beaucoup plus à l'ouest. Le déplacement du point de vue dérange, on est placé dans un autre opéra, pas celui que l'on connaissait jusqu'ici, aussi mal à l'aise que cette jeune fille contrainte de se déplacer dans un corps de femme qui n'est pas encore le sien et d'y vivre des émotions qu'elle ne maîtrise pas encore tant elles lui sont encore inconnues sinon par poésie interposée. Lorsqu'arrivent Lenski et Oneguine, après les présentations, Warlikowski se plaît sans attendre à mélanger les couples, d'entrée de jeu : il assied les jeunes sur quatre fauteuils alignés en devant de scène en plaçant Tatiana entre Olga et Lenski, ce que contraint les amoureux de se parler par-dessus la tête de la jeune fille et donne lieu à une premier chassé-croisé, Tatiana faisant de même avec Oneguine.
La petite télévision ponctue le temps du récit: au deuxième tableau, elle est en écran fixe de veille, les émissions sont terminées. Seules en scène, la Filipievna en peignoir et pyjama s'enduit de crème hydratante. Tatiana se déshabille pour la nuit, tous ses changements de costume se font en scène, elle est à présent en nuisette. La Filipievna va dormir et Tatiana dicte sa lettre d'amour à un magnétophone qui l'enregistre. La nuit avance, l'écran de la petite télévision se remplit de neige, il n'y avait pas d'émissions nocturnes en 1969. Tatiana glissera la bande enregistrée dans une enveloppe adressée à Oneguine, qu'elle confiera aux bons soins de Filipievna, qui est revenue au petit matin apportant un jus d'orange à la jeune fille. La télé diffuse une émission matinale exceptionnelle, ce matin de juillet 1969, l'homme a marché sur la lune.
Premiers pas de l'homme sur la lune à la télé et pub Carlsberg en arrière-scène
Deux trois années ont passé, le puissant Prince Gremin qui a épousé Tatiana donne un bal où Oneguine est convié. Il n'a plus vu Tatiana depuis le duel et croit en être amoureux, mais tatiana, qui aime encore Oneguine, préférera raison garder et rester fidèle à son mari. Au regard de la lecture homosexuelle de la mise en scène, on ne peut que l'approuver.
Les choix du metteur en scène mettent en évidence l'homosexualité du compositeur. L'homoérotisme de la relation d'Oneguine et de Lenski avait déjà été souligné et étudie, mais n'avait sans doute jamais été représenté de manière aussi explicite et dérangeante. Le déplacement du lieu et du temps de l'action bouleverse lui aussi les clichés des représentations traditionnelles de l'oeuvre. Un petit saut dans le temps, un grand pas pour la compréhension de l'oeuvre? Décoiffant en tout cas.
Mais pourquoi une publicité pour la Carlsberg en fond de scène ?
- La pub de Carlsberg: In July 1969, mankind did something amazing. Something that had never been done before. Something really worthy of a Carlsberg. Watch our version of that historic step for mankind now. En 1969, l'humanité a fait quelque chose de surprenant.Quelque chose qui n'avait jamais été fait auparavant. Quelque chose qui méritait bien une Carslberg. Regardez notre version de ce pas historique pour l'humanité maintenant.
- En 2007, Warlikowsli a fait quelque chose de surprenant...Allez regarder sa version d'Oneguine au Bayerische Staasoper en live-streaming ou sur place ce soir...
Photos: Wilfried Hösl
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