Le Syndicat de la magistrature a adressé le 20 mars 2012 aux candidats à l’élection présidentielle un questionnaire portant sur les thèmes développés dans son projet pour la justice, « Pour une révolution judiciaire ».
QUESTIONS AUX CANDIDATS
I. Pour une justice indépendante et équitable
1. Le rôle du Conseil constitutionnel a été considérablement accru par la réforme de 2008 instituant la question prioritaire de constitutionnalité, les décisions du Conseil influant désormais directement sur les affaires en cours. Cette juridictionnalisation du contrôle de constitutionnalité accroît les exigences de compétence et d’indépendance des membres du Conseil. Envisagez-vous d’instituer de nouvelles règles de nomination de ceux-ci, afin de garantir leur impartialité et la qualité de leurs décisions ? Pensez-vous que les anciens présidents de la République aient leur place au sein de cette instance ?
2. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature reste largement inaboutie. Si les magistrats y sont désormais minoritaires s’agissant des nominations et si les justiciables disposent du droit de le saisir directement, le Conseil demeure institutionnellement faible – au regard notamment de ses homologues européens – et les personnalités extérieures sont toujours nommées par la majorité politique du moment. Envisagez-vous d’instituer de nouvelles règles de nomination dépourvues de tout caractère partisan ? Êtes-vous favorable au rattachement au Conseil de l’Inspection générale des services judiciaires, actuellement placée sous l’autorité du Garde des sceaux, et d’une partie de la direction des services judiciaires ?
3. Pour l’immense majorité des postes du siège et du parquet, le CSM n’a qu’un rôle de contrôle des nominations proposées par le pouvoir exécutif. Afin de renforcer son rôle et d’asseoir l’indépendance de la magistrature, envisagez-vous de confier au CSM l’initiative de la nomination de l’ensemble des magistrats du siège et du parquet ?
4. Au-delà de la question de leur nomination, les magistrats du parquet demeurent soumis au pouvoir politique dans leur action quotidienne à travers la possibilité pour ledit pouvoir de donner des instructions dans les affaires individuelles, et celle pour leur supérieur hiérarchique de les dessaisir à tout moment. En outre, tout comme les juges d’instruction, ils ne disposent pas pour mener leurs enquêtes d’une police judiciaire, actuellement rattachée au ministère de l’Intérieur, en capacité d’exécuter loyalement leurs directives. Êtes-vous favorable à la suppression des instructions dans les affaires individuelles et à l’instauration de règles permettant de clarifier l’attribution des dossiers aux magistrats du parquet ? Envisagez-vous de faire évoluer le lien de subordination entre l’autorité judiciaire et la police, notamment en procédant au rattachement fonctionnel d’unités de police judiciaire aux juridictions ?
5. Au-delà même du problème posé par le lien hiérarchique entre le parquet et le pouvoir politique, l’augmentation incessante des prérogatives du parquet dans des domaines qui ne devraient pas relever de l’autorité de poursuite, notamment en matière de proposition de peine ou de privation de liberté, est inquiétante. Êtes-vous favorable à la restriction des pouvoirs du parquet afin qu’il demeure dans son rôle essentiel d’autorité de poursuite ? Envisagez-vous notamment de supprimer les procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, de saisine directe du JLD en matière de détention provisoire ou encore de « référé-détention » ? Pensez-vous que la mesure de garde à vue doive s’exercer sous le contrôle d’un magistrat du siège ?
6. Bien que plus protecteur que celui du parquet, le statut des magistrats du siège a révélé ses failles au cours des dernières années. Certains magistrats exerçant des fonctions sensibles, comme les présidents de cours d’assises et de tribunaux correctionnels ou les juges des libertés et de la détention, ont ainsi pu être déchargés de leur service à la suite de décisions ayant déplu. Êtes-vous favorable à ce que l’affectation dans ces fonctions exposées ne dépende plus des chefs de juridictions mais relève d’un décret spécifique, comme pour le juge d’instruction ou le juge des enfants, empêchant ainsi tout changement arbitraire de fonction ? Pour les autres magistrats, envisagez-vous dans la même logique de confier aux assemblées délibérantes de chaque juridiction le pouvoir de décider de leur affectation en son sein ?
7. L’administration de la justice est aujourd’hui largement technocratique. Afin de la rendre tout à la fois plus démocratique et plus efficace, êtes-vous prêt à expérimenter de nouveaux modes d’organisation et de gestion des juridictions judiciaires, qui pourraient par exemple devenir des établissements publics dotés de conseils d’administration associant professionnels, représentants des usagers et partenaires de la justice ? Êtes-vous favorable à l’élection des présidents de juridiction par les magistrats du siège ?
8. La justice demeure une administration pauvre. Les comparaisons internationales démontrent que la France consacre beaucoup moins d’argent à sa justice que des pays comparables. Dans quelle mesure souhaitez-vous abonder le budget du ministère de la justice, et quelle part de celui-ci serait affectée à l’administration pénitentiaire ? Êtes-vous favorable à ce que le budget consacré aux services judiciaires soit soumis à l’avis conforme du CSM, garant d’un fonctionnement du service public de la justice à la hauteur de ses missions ?
9. Le primat des objectifs quantitatifs a entraîné un recours accru au juge unique au détriment de la collégialité, pourtant gage de qualité des décisions grâce à l’échange de points de vue. L’une des rares lois récentes créant une juridiction collégiale, à l’instruction, voit même son entrée en vigueur chaque année repoussée. Vous engagez-vous à permettre enfin l’application de cette loi votée à l’unanimité en 2007 et, au-delà, à renforcer la collégialité tant en matière pénale que civile ?
10. Les procédures et juridictions d’exception portent atteinte au principe d’égalité devant la justice. Êtes-vous favorable à leur suppression ? En particulier, envisagez-vous de supprimer les cours d’assises « spéciales » – d’où les citoyens sont exclus – et la Cour de justice de la République – où les ministres sont jugés par des parlementaires avec lesquels ils ont nécessairement entretenu des rapports parfois étroits ? Êtes-vous prêt à aligner les procédures d’exception sur le régime de droit commun ?
11. Afin de permettre aux justiciables de saisir plus facilement la justice, notamment dans le cadre des litiges de consommation et de santé, êtes-vous prêt à introduire l’action de groupe en droit français ?
II. Pour des citoyens libres et égaux en droit
12. La complexité de l’architecture judiciaire, peu lisible, rend difficile l’accès à la justice pour les citoyens ; par ailleurs, la réforme exclusivement comptable de la carte judiciaire a créé de véritables déserts judiciaires à l’origine d’une rupture d’égalité entre les justiciables. Êtes-vous dès lors favorable, afin de simplifier le recours au juge dans certains contentieux aujourd’hui dispersés, à la création de juridictions compétentes pour les traiter de manière cohérente, par exemple une juridiction de la protection sociale et une juridiction de la famille ? Vous engagez-vous à conforter l’autonomie des tribunaux d’instance, juridictions de proximité par excellence regroupant les contentieux du quotidien, et à procéder – si nécessaire – à la réouverture de juridictions en fonction des besoins des territoires ?
13. De nombreux justiciables aux revenus modestes, excédant toutefois le plafond d’attribution de l’aide juridictionnelle totale, renoncent à faire valoir leurs droits pour des motifs financiers ; cette situation est aggravée par l’instauration, depuis le 1er octobre 2011, d’une taxe de 35 € pour l’introduction de la plupart des instances et d’une taxe de 150 € en appel. Quelles sont vos propositions pour remédier à cet obstacle financier à l’accès au juge ? Envisagez-vous notamment une réforme de l’aide juridictionnelle, et de quelle ampleur ? Vous engagez-vous à supprimer ces taxes ?
14. De nombreuses études sociologiques attestent de dérives discriminatoires fréquentes en matière de contrôles d’identité. Par ailleurs, de tels contrôles, par définition attentatoires à la liberté d’aller et venir, ne devraient être justifiés que par la recherche des auteurs d’infractions. Êtes-vous donc prêt à supprimer les contrôles dits « administratifs » ne reposant sur la commission d’aucune infraction ? Êtes-vous favorable à une loi imposant aux policiers de remettre systématiquement une attestation de contrôle, afin de lutter contre les contrôles « au faciès » ou vexatoires ?
15. On assiste depuis une dizaine d’années à une véritable explosion du fichage de la population, dont l’efficacité reste à démontrer s’agissant de la lutte contre la délinquance et qui porte gravement atteinte aux libertés individuelles. Envisagez-vous de remettre en cause l’existence même d’une partie de ces fichiers et, pour les autres, de limiter les possibilités d’inscription ainsi que la durée de conservation des données ? Quelles mesures préconisez-vous quant à la consultation et au contrôle de ces fichiers ?
16. La loi du 15 avril 2011 permet aux avocats d’assister aux auditions des personnes gardées à vue. Êtes-vous prêt à leur donner accès à l’intégralité de la procédure, seul moyen de rendre effective et utile leur intervention ? Êtes-vous par ailleurs favorable à une limitation du recours à cette mesure, notamment par l’instauration de seuils de peine d’emprisonnement encourue pour le placement en garde à vue et la prolongation de celle-ci ?
17. La détention provisoire, dérogation pourtant majeure au principe fondamental de la présomption d’innocence, demeure trop utilisée au mépris des enseignements du drame d’Outreau. Êtes-vous favorable à une limitation plus drastique de celle-ci et par quels moyens ? En particulier, envisagez-vous d’instaurer une collégialité pour statuer en la matière ?
18. On assiste depuis plus de dix ans à d’incessantes modifications de la loi pénale, au gré des faits divers, visant à incriminer toujours plus de comportements ; cette pénalisation de notre fonctionnement social, dangereuse pour les libertés individuelles, s’est révélée inefficace pour lutter contre la délinquance. Envisagez-vous en conséquence de supprimer certaines infractions ? De la même manière, l’approche répressive de la consommation de drogues a largement démontré son caractère inopérant voire contre-productif sur le double terrain de la santé et de la sécurité publiques. Êtes-vous favorable à la mise en œuvre d’une politique alternative en matière de lutte contre la consommation et le trafic de stupéfiants ? Plus précisément, quelle est votre position quant à la dépénalisation de l’usage de stupéfiants, à la légalisation du cannabis et au développement d’une politique de réduction des risques passant notamment par l’ouverture de salles de consommation ?
19. Depuis 2007, des dispositions gravement attentatoires à des principes fondamentaux, tels que les principes d’individualisation, de proportionnalité, de nécessité et de prévisibilité des peines, ont été votées. Envisagez-vous de revenir sur la loi du 10 août 2007 instaurant les peines planchers – qui porte atteinte à la liberté d’appréciation du juge – et sur celle du 25 février 2008 créant la rétention de sûreté, véritable peine après la peine ?
20. La situation dans les prisons est préoccupante ; la surpopulation carcérale atteint des niveaux record. Quelles mesures préconisez-vous pour mettre un terme à cette situation ? Êtes-vous favorable à l’instauration d’un numerus clausus ? Envisagez-vous de maintenir le programme de construction de nouveaux établissements pénitentiaires ou êtes-vous prêt à redéployer ces crédits en faveur de la rénovation des établissements existants, de la mise en œuvre de toutes les règles pénitentiaires européennes et de politiques alternatives à l’incarcération et de réinsertion ? Quelles mesures entendez-vous prendre afin que l’ensemble des droits des personnes détenues soient enfin respectés ?
21. C’est la notion même de justice des mineurs qui est remise en cause depuis plusieurs années au motif que les enfants ne seraient plus des enfants… Que voulez-vous faire pour rétablir sa spécificité ? Envisagez-vous de revenir sur la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs et sur la saisine directe du tribunal pour enfants par le procureur ? De diversifier les réponses éducatives et les solutions de prise en charge des mineurs plutôt que d’ouvrir de nouveaux centres éducatifs fermés ? De préserver la double compétence civile et pénale du juge des enfants ?
22. Les obstacles à la circulation et au séjour de ceux qui viennent chercher en France un refuge ou un avenir meilleur se sont multipliés ces dernières années. Les procédures toujours plus expéditives et le recours massif à l’enfermement, qui touche aussi les enfants, ont encore très récemment valu à la France des condamnations par la Cour européenne des droits de l’Homme. Êtes-vous favorable à la dépénalisation du séjour irrégulier des étrangers ? Vous engagez-vous à mettre fin à l’enfermement des enfants dans les centres de rétention administrative et dans les zones d’attente ? Envisagez-vous de rétablir le juge judiciaire dans la plénitude des attributions qu’il tient de l’article 66 de la Constitution, c’est-à-dire dans son rôle de contrôle à très bref délai des mesures de rétention ?