Après Genève, avant Bruxelles, le Tour se veut représentatif des jeunes talents de la cuisine mondiale. Il ne faut donc pas s’alarmer si à coté de chefs que nous « connaissons » bien comme Jean-François Pièges, Anne-Sophie Pic, Michel Troisgros coté salé, Fabien Rouillard (le nouveau chef pâtissier de Fauchon) ou Christophe Adam (l’ancien …) coté sucré, Patrick Roger (dont je brosserai le portrait le jour de sa fête) et Jean-Paul Hévin, coté chocolat, les master-class sont menées par des talents dont le nom ne nous parle pas encore du premier coup. Et Luc Dubanchet, le fondateur d’Omnivore se fait fort de débusquer aux quatre coins de la planète ceux qui sont dans une trajectoire culinaire prometteuse.
Le chef nous est présenté comme un fou de produits animé par l’urgence de cuisiner. Il déplore la tendance actuelle de proposer des déclinaisons de minuscules bouchées sublimant seulement 2 ou 3 produits par assiette, Son credo, c’est de travailler un produit central et « d’envoyer autour des satellites en jouant sur les gouts et les textures. Je fais pas riche mais opulent, quitte à frôler le too much.»
Pour cette master class il confie éprouver les doutes habituels en fin de saison, quand un produit est en passe de disparaitre (comme les blettes actuellement) et que le suivant n’est pas encore à maturité. Une situation qui le stresse mais aussi qui le pousse à « cogiter » comme il le dit lui-même.
Nous sommes dans une période charnière après un hiver rigoureux qui a retardé le printemps. L’alliaire devrait être haute et on devrait alors pouvoir en travailler les feuilles abondantes. Mais aujourd’hui, et faute de mieux, ce sont les racines qui vont être intégrées au plat. Cette plante sauvage pousse en bordure de sous-bois et de route, là où on pourrait trouver des orties.
On peut la consommer crue en salade, la transformer en coulis, ou la cuire. Elle aura alors une saveur proche de celle du raifort. Sa légère amertume en fait le support herbacé idéal pour des escargots, en l’occurrence des petits gris dont les producteurs disparaissent malheureusement au fil du temps.
Guillaume Savan prépare d’abord des copeaux de chèvre qui fondront ultérieurement sur le plat, avec un rendu bien supérieur à une coquille de beurre. Il écrase un fromage de chèvre qu’il délaye dans de la crème et qu’il fait fondre sans aucun assaisonnement. L’alliaire apportera un gout iodé, avec une force comparable à une ciboulette ou une cébette. Le but est que « çà n’emporte pas ». La crème est ensuite refroidie pour être travaillée au pinceau sur une feuille avant d’être placée en froid négatif cinq bonnes minutes.
Passons au radis chinois. Un légume qui pousse dans le Tarn et qui n’est pas aussi insipide que ses minuscules petits frères. Il sera travaillé avec de la cardamone, du gingembre, du piment et un vinaigre oxydatif dans lequel on le fera fondre, sans toutefois le marquer (le brunir).
Avec une farine de pois chiches il fera une galette fine, entre la soca et la panisse, commencée dans une poêle, achevée au four … un certain temps, disons « le temps du cuisinier ». Des palets seront découpés à l‘emporte-pièce et colorés sur le Teppan, cette plaque de fer chaude que les cuisiniers japonais ont popularisée.
L’homme discute. Le journaliste ponctue, approuve, met son grain de sel dans les explications … et s’aperçoit soudainement avoir oublié d’allumer le piano. Aucune émotion chez le cuisinier pour qui le temps ne semble plus compter. Il n’aura de cesse de mettre sur orbite de nouveaux satellites alors que manifestement la régie doit faire savoir son mécontentement dans l’oreillette de Sébastien qui bon gré mal gré doit accepter la réalité.
Le chef râpe à la microplane un magret de canard fumé (congelé, sinon l’opération serait impossible) au fond de l’assiette. Il verse le jus d’alliaire, pose les escargots, les rondelles de radis, enroule les copeaux de chèvre (qui se mettront bientôt à fondre), décore de feuilles d’alliaire fraiches et termine avec les galettes.
A 100 euros le kilo son prix de vente ne me permettra pas d’imaginer une recette avec le citron caviar au si particulier gout proche de la bergamote mais j’étais heureuse de pouvoir découvrir cet agrume qui pousse dans la forêt tropicale australienne. Comparativement l’achacha (lui aussi distribué par AMS European, basé à Rungis) originaire de Bolivie sera plus abordable, même si à dix fois moins cher cela reste un produit de luxe. La texture moelleuse et fondante de sa chair est sa principale originalité malgré un énorme noyau.
Alexandre Houlliot avait apporté de magnifiques barquettes de fruits rouges de l’Aisne, des framboises, des mûres Lochness, cultivées en France, mais aussi des brimbelles, ou si vous préférez des myrtilles, qui par contre arrivaient du Mexique puisque nous sommes à contre saison.
Les découvertes concernaient aussi d’autres univers comme la viande. D’abord la pintade élevée par Savel (dans le Finistère). Plusieurs recettes avec les suprêmes prouvaient que cette volaille est savoureuse et qu’on a tort de ne pas y penser. L’association cardamone-poivre vert- lait de coco était une heureuse proposition. Pourquoi ne pense-t-on pas à remplacer le classique poulet du dimanche par ce volatile que l’on peut désormais trouver en version prête-à-cuire ou en chapon pour un repas plus festif. Le Comité interprofessionnel de la pintade a mis en ligne des recettes appétissantes.
Ce fut avec intérêt aussi que j’ai pu comparer les différentes saveurs des Beurres Bordier. Le travail de Jean-Yves mérite la majuscule. Il est le dernier artisan à employer un malaxeur en bois. C’est le seul qui sale encore à la volée. A coté des beurres classiques il avait amené des beurres dits spéciaux. Le dernier-né est parfumé à l’huile d’olive citronnée pour enchanter des Saint-Jacques. La version aux algues est savamment iodée, capable de créer la surprise sur une viande grillée. Celui qui associe le piment d’Espelette semble étonnamment fade ... au regard de sa robe rouge garance jusqu’à ce que le piment se révèle en fin de bouche. Un autre, sel fumé, oignons frits, poivre noir est assez surprenant.
Ceux qui voudraient faire leur propre recette s’inspireront de celles que les cercles Culinaires CNIEL ont imaginé : beurre roquette/parmesan, Andouille de Vire/réduction de cidre, nougat/mangue … le choix ne manque pas.
Il y aurait beaucoup à raconter. Coté boissons, des moments sympathiques, avec la découverte du saké par le SakeBar que l'on peut retrouver 3 rue Valette dans le 5ème arrondissement de Paris. Avec les cafés de l’Arbre à café .
Les partenaires du Salon étaient manifestement à l’écoute des visiteurs, animés d’une volonté d’écoute. Enfin, majoritairement. Certains snobaient les bloggeurs dépourvus de carte de presse et donc probablement de crédibilité comme le riz Gallo. Je n’avais pas remarqué que leur documentation, sous forme d’un CD rom était exclusivement destinée aux journalistes. C’est du moins ce qu’on m’a fermement fait comprendre. Message reçu. Je resterai sur mon opinion en matière de risotto et continuerai à le faire en suivant la technique du chef Nicolas Vienne et que j'ai relatée précédemment.
J'ai écouté les confidences de Patrick Roger dont je vous rappelle que le portrait sera publié le jour de la Saint Patrick. J'ai aussi croisé la jeune chef qui s'est classée première au dernier MasterChef, Stéphanie Le Quellec, et que je retrouverai dans une quinzaine de jours pour un atelier très chocolaté.