Ce dernier long-métrage de Philippe Faucon
Sans slogan réducteur et caricatural par le seul moyen du cinéma, le film de Faucon suit étape par étape le parcours de trois jeunes Lillois qui basculent dans le terrorisme islamiste, embrigadés dans une cellule islamiste radicale, jusqu’à la perpétration d’un attentat au siège de l’OTAN à Bruxelles
« C'est pas le film qui craint, c'est la France »
Trois jeunes lillois donc...
Nasser fuit la police à la suite d’une agression. Nico-Hamza est un petit Blanc en perdition. Quant à Ali, Bac pro en mécanique, issu d’une famille ouvrière traditionnaliste, intégrée et aimante, aux parents épuisés par le travail, il se voit systématiquement refuser toutes ses demandes de stage.
Figure charismatique engouffrée dans la brèche de l’échec d’une République discriminatoire, Djamel est un recruteur-endoctrineur de la cause du djihad à l'affût de tous ceux qui semblent n’avoir plus rien à perdre. L'aura indéniable des endoctrineurs, leur rhétorique d’une efficacité redoutable rappellent sans aucun doute celle des sectes ; magnétisme de la voix... ils ont souvent une diction très calme, voire très douce, une diction destinée à masquer une finalité violente, cruelle et sans pitié.
Style frontal et sobre, limpide et franc, précis et sec, admirateur de Bresson et de Pialat, Faucon raconte avec clarté et simplicité la désespérance qui se mue en colère : société, destin individuel et famille, le titre du film désigne la désintégration d’une partie des classes populaires issue de l’immigration arabo-musulmane : violences sociales, désœuvrement, foi religieuse exacerbée et compensatrice, faiblesse morale, pessimisme…
Dépouillé et concis le film va à l’essentiel en 80 minutes et au bout de son propos : poser les questions qui importent - Pourquoi un tel regain de l'islam sur le sol républicain ? Pourquoi, en son sein, cette montée en puissance du fondamentalisme qui l'instrumentalise à des fins politiques ? Pourquoi, enfin, de jeunes gens issus des banlieues, de nationalité française, répondent à l'appel de ces sirènes ?
On connaît la part prépondérante de l'engrenage qui encourage le repli identitaire et fait le lit de l’extrémisme ; le politologue et spécialiste de l'islam, Gilles Kepel (1), nous la rappelle ; chômage, pauvreté, humiliation, discrimination sociale et ethnique, trahison des idéaux républicains.
Il est vrai que l'on pourra toujours se consoler avec ce constat : l’intégrisme virulent n’est certes pas une fatalité chez les populations arabo-musulmanes…
N’empêche !
Même en comptant avec l’ambivalence chez tout citoyen français issu de la colonisation et/ou de l’immigration de ses sentiments à l’égard de son pays d’adoption …
Citoyen français avec cette autre identité dont il lui faut assumer bon an mal an l’héritage ; difficulté à la racine de laquelle on trouvera un pays des origines dont les mœurs, us et coutumes peuvent lui sembler étrangers, et parfois même, pays de la honte, corruptions, injustices sans nombre, pauvreté et parfois misère que des médias impitoyables ne manqueront pas, sans retenue ni nuances, de relayer jour après jour ; médias qui ne s’occupent que des crimes et châtiments de l’Homme qui n’est qu’un loup pour quiconque a la faiblesse de se montrer brebis…
Et alors que ce Français du Maghreb ou d’Afrique noire aura pour principal référant la figure tutélaire d’un homme blanc au passé colonial couvert d’opprobre - telle est du moins la représentation qui lui sera proposée de ce passé détestable -, mais qu’il ne peut décidément pas se résoudre à haïr, sinon au prix d’un préjudice moral important, tout en restant confronté, encore et toujours, à cette identité des origines…
Qui peut nier le fait suivant : derrière chaque adoption il y a toujours un abandon, et plus encore lorsque l’histoire et la culture de cette famille des origines sont jugées par toute la société - et parfois par l'intéressé même -, infréquentables.
Aussi... est-il important de reconnaître en toute bonne foi et en toute lucidité… qu’il est très certainement plus facile de se lever le matin quand on est un Français-italien avec pour références la grandeur de Rome et la splendeur de la Renaissance, ou bien un Français-juif avec pour soutien moral et identitaire le trio prestigieux suivant : Marx, Freud, Einstein.
Dense et tranchante, La désintégration à la Philippe Faucon ne traite pas tant du terrorisme ou de l’islamisme que d’un modèle républicain au coeur de pierre, gravé dans le marbre, plus idéologique que pragmatique, avec ses prêcheurs décidément toujours pas payeurs pour un sou, et qui ne se reconnaissent le plus souvent aucune obligation de résultats, modèle obstiné et têtu dont le credo aussi hypocrite que rigide n’a semble-t-il qu’un seul projet depuis quarante ans, le rejet de millions de Français faute d'adaptation, de souplesse et de tolérance, à l'heure où des politiques économiques plongent, des classes populaires aux classes moyennes, toutes les sociétés occidentales dans une remise en cause intraitable des protections, et autres acquis sociaux, et des chances de progrès pour le plus grand nombre : concomitances histoires létales au cocktail détonnant sans précédent.
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1-
Cette enquête, réalisée durant le Ramadan de 2010 dans la zone de Clichy/Montfermeil, analyse la façon dont s'imbriquent les variables comme la relégation et l'enclavement spatial, les problèmes de l'éducation et de l'emploi, de la sécurité, pour générer une émeute qui s'est répandue dans l'ensemble du pays. Il étudie notamment la façon dont la référence à l'islam a pénétré l'espace social.
Se reporter aussi à son précédent ouvrage : "Banlieues de la République".