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La vie transcende le vécu

Par Thibault Malfoy

La poésie est l’art littéraire le plus arriéré. Celui que, pour autant que nous le sachions, les hommes ont pratiqué le premier. Ce n’est pas la station debout permanente qui a séparé l’homme du singe, c’est la poésie. Un jour, un velu à front bas, cessant de se gratter les aisselles, a grimpé sur un rocher et, indifférent aux barrissements des diplodocus, en bas, a chanté : « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui… »

Charles Dantzig, in Dictionnaire égoïste de la littérature française (Grasset).

J'entends des gens se plaindre que la poésie n'est plus assez lue ; elle ne l'a jamais été, ne le sera jamais : elle n'intéresse de tout temps en France que quelques centaines de personnes seulement, pas plus. Et après ? C'est bien assez pour faire vivre et perpétuer les étincelles crachées par le choc des mots, des sons et des images. Pour qu'écrire de la poésie, vivre poétiquement ne soit pas vain.

Comme Anne-Sophie, je ne lis de la poésie que de manière sporadique, comme on aère une chambre qui sent le renfermé. Et voilà de quoi nourrir mon sang :

Qui a talent pour le malheur,
Il doit le fuir autant qu’il peut.
« Il n’est pas de chagrin qu’une heure
De lecture n’ait chassé », Montesquieu.
Il n’eut donc pas de vif chagrin,
Il ne vit pas les hôpitaux,
Les corps flétris percés de drains,
Les âmes devenues les maux.
Et les naseaux Dostoïevski
Fumant l’éloge de la souffrance,
De la souffrance qui ennoblit,
Ces grands esprits sont assez rances.
Pensez plutôt aux longs bras maigres
Aux escarres des fesses osseuses
Aux cheveux gras à l’haleine aigre
Aux vies entières chassieuses
Et si réellement ils souffrent
Ils font de l’imposé vertu
Quelle hauteur voilà des gouffres
La vie transcende le vécu.
Le malheur vient bien tout seul, de Charles Dantzig, in En souvenir des long-courriers (Les Belles Lettres).


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