La couverture du siège puis l'assaut contre l'appartement du terroriste Mohamed Merah nous a rappelé une fois de plus que le direct n'apporte pas rien, ou pas grand chose, en matière de traitement de l'information. La mémoire publique -et médiatique- s'apparentant à celle du poisson rouge, plusieurs événements précédents auront dû alerter sur la nécessité de prendre ces directs des chaînes de radio et télé avec de conséquentes pincettes.
Souvenons-nous de la Révolution roumaine, et de l'antenne ouverte de la 5 de l'époque, qui essayait de se refaire une virginité après ses débuts sous les paillettes berlusconiennes. Sous la houlette de Guillaume Durand, il s'agissait de magnifier la révolte contre le régime honni de Ceaucescu... Mais surtout de gagner la course à l'audience. Résultat, des heures de direct, quelques pétarades, des balles traçantes déchirant la nuit de Bucarest, des opposants apparaissant pour la première fois dans la lumière des caméras… Mais pendant ce temps, les généraux se répartissaient le pouvoir, exécutaient le dictateur après un procès encore plus grotesque que le régime renversé. Et Iliescu s'installait dans ses futurs vêtements de Président patelin… Bref, d'un côté les marionnettes pour amuser la galerie, de l'autre la vraie comédie feutrée du pouvoir.
Il y eut aussi -entre autres- la maternelle de Neuilly, en 1993, avec un Sarkozy en première ligne, interventionniste, négociant directement avec le preneur d'otage, courant devant les caméras parqués à quelques encablures, avant de se faire renvoyer à ses études et son rôle d'édile local par un Pasqua au meilleur de sa forme. Pendant que les médias se passionnaient pour les exploits vibrionnants de l'histrion, les réunions du cabinet de crise place Beauvau préparaient méthodiquement l'intervention du Raid et l'exécution programmée de Human Bomb. Grâce à ses journalistes placés au bon endroit (et donc pas à Neuilly…), on en apprenait plus sur cette préparation en lisant le Monde qu'en regardant ou en écoutant en direct les radios et les télés.
Ces deux exemples ont démontré que le direct était source d'erreurs et n'apportaient rien au traitement de l'information. Mais il n'y a rien à faire, à chque tragédie, la tentation de l'audience est trop forte. Tentation à laquelle BFM TV a succombé en prenant l'antenne la première (reconnaissons-le, j'y ai assisté à 5h30, et il y avait des bandeaux défilants sur cette chaîne et LCI bien avant). Quelques noctambules dont Donjipez avaient néanmoins repéré et tweeté le grabuge toulousain dès le début de l'assaut manqué.
L'irruption de Twitter ne change rien au tableau. Aux médias fascinés par le direct s'ajoutent les apprentis journalistes. BFM TV a ainsi annoncé que Merah était vivant dans la salle de bain, puis mort quelques minutes plus tard. Le pire, c'est qu'ils avaient raison mais ils n'en savaient rien et leurs tweets successifs sonnaient comme de gigantesques bourdes propres à faire ricaner Twitter. Cantonnés à bonne distance, ils ne pouvaient que publier ce que les policiers voulaient bien leur donner. A ce compte, un direct filmé par téléphone portable via une application de vidéo en direct comme Bambuser aurait été aussi efficace que les Betacam. Et l'apprenti journaliste en disait autant que le journaliste soi-disant rompu à l'info en continu : c'est-à-dire rien. Comme cette blogueuse voisine des lieux du drame et qui pond une note d'une affligeante vacuité. Ou ce voisin de l'immeuble de l'assassin qui n'a rien d'autre à dire que «On se disait bonjour en sortant les poubelles...»
Je me souviens des exploits du duo infernal Roland-Larqué, et d'un “Jean-Mi-Mi” frétillant qui annonçait «But !» dès que ça cafouillait un peu dans les onze mètres. En annonçant des bribes d'info sans prendre le temps du recul et de l'analyse, en se laissant manipuler comme des gamins par les sources policières, en sacralisant le direct, en cédant à la course au scoop qui les fait tomber dans les mêmes ornières, BFM TV et d'autres ne valent pas mieux que le duo infernal du football. Ils préparent même le terrain pour leur chute prochaine.
Le pire a été atteint quand la journaliste de France Info a pris l'antenne au moment de l'assaut définitif. Le moment était lunaire : ça pétaradait derrière elle, Merah était en train de se faire enfin dessouder, et la journaliste n'a rien trouvé de mieux que de lever la voix pour couvrir le bruit des détonations et de finir son papier envers et contre tout ! Alors que pour une fois, après des heures d'attente vaine, on avait enfin l'événement en direct dans les oreilles.
Le micro de BFM TV, la première sur place, est tombé en panne quand Guéant a fait sa première conférence de presse après l'assaut raté. La journaliste au micro de France Info a raté une bonne occasion de se taire quand l'assaut final a été lancé. Dans les deux cas, le direct n'a servi à rien.