Étrange dialogue entre un favori des sondages et un ambitieux qui pense avec
deux élections d’avance : sans que cela ne soit relevé, le candidat socialiste a reconnu n’avoir jamais eu aucune influence sur les décisions prises du gouvernement Jospin. Une gaffe sortie
spontanément qui a confirmé sa totale inexpérience à la gestion des affaires de l’État.
Des Paroles et des actes
Disons-le clairement car le contraste est frappant avec "Parole de candidat" de TF1. L’émission de France 2 renoue depuis plusieurs mois avec les grandes émissions
politiques auxquelles la télévision française a su habituer ses concitoyens, comme "Cartes sur table",
"L’Heure de Vérité" ou encore "Sept sur sept".
Malgré des premiers pas timorés, David Pujadas contrôle un peu mieux son émission en recadrant de plus en
plus fermement les réponses de ses invités si elles s’éloignent trop des questions.
C’est une vraie émission politique, avec de vraies questions, et si elle pêche sans doute par sa trop grande
durée (plusieurs heures), elle se distingue par deux éléments originaux et très intéressants : la capacité de l’équipe à retrouver les informations précises quand un débatteur se permet un
écart avec la vérité (le plus souvent statistique) et à les donner avant la fin de l’émission, et le moment très attendu du débat entre deux personnalités de premier plan.
Les face-à-face politiques sont rares
À l’exception des duels
de second tour, les débats entre deux leaders politiques sont très rares en France à tel point qu’on les ressort régulièrement dans l’historique des émissions politiques (débat Raymond Barre vs François
Mitterrand, débat Laurent Fabius vs Jacques Chirac, débat Jean-Marie Le Pen vs Bernard Tapie etc.).
"Des Paroles et des actes" a déjà proposé au public plusieurs débats de premier plan pour la campagne
présidentielle : Jean-Luc Mélenchon vs Marine Le Pen, Laurent Fabius vs Nicolas Sarkozy, Manuel Valls vs François Bayrou, Alain Juppé vs François Hollande, Jack Lang et Jean-Luc Mélenchon vs Jean-François Copé.
Le "renard" Copé
François Hollande
était l’invité principal de l’émission du 15 mars 2012. Il avait déjà été invité le jeudi 26 janvier 2012. Pourquoi est-il le seul candidat (sauf erreur de ma part) à y être invité deux fois
depuis janvier ? Est-ce un décomptage qui commence dès l’automne ?
Le débatteur censé mener la contradiction fut Jean-François Copé, secrétaire général de l’UMP. Selon quelques indiscrétions, il semblerait que François Hollande
aurait préféré avoir le Premier Ministre François Fillon comme contradicteur, un personnage plus à son
niveau, selon lui. Finalement, il a accepté son rival interne de l’UMP.
Tout le monde connaît Jean-François Copé et ses détracteurs mieux que les autres : il est avant tout un
redoutable débatteur. Intelligent et habile, travailleur et beau parleur, il a le sens de la formule et surtout, il ne s’embarrasse pas des scrupules qui font douter les intellectuels :
Jean-François Copé a compris que pour gagner en politique, il fallait foncer, quitte à aller dans le décor, et qu’il ne fallait pas s’ennuyer avec la vérité. Le bluff, l’audace, la mauvaise foi,
l’éloignement avec la réalité, tout est possible chez lui avec une assurance et une confiance en lui exceptionnelles.
À cela, il faut ajouter un réel don de la communication et de l’élocution, et une malice qui le rend presque
attachant, son côté enfant terrible. Sa physionomie du visage pourrait le comparer à un renard, mais les crocs qu’il n’hésite pas à montrer avec un sourire décomplexé et sans complaisance et des
yeux sans concession pourrait l’assimiler à un chien féroce. Il faut donc imaginer que Jean-François Copé est une sorte de Nicolas Sarkozy avec quelques bagages en plus, comme l’ENA et une audace démultipliée.
Dans son débat face à François Hollande, Jean-François Copé ne l’a donc pas épargné, attaquant surtout sur
les reculades et le flou des propositions du candidat socialiste, tant sur l’OTAN que sur le programme nucléaire de la France ou sur l'immigration illégale. François Hollande a même montré une très faible
combativité, restant parfois silencieux devant l’arrogance de son contradicteur, beaucoup plus dynamique qu’un Laurent Fabius ou un Jack Lang.
La gaffe qui "casse"
Et puis, dans le flot du dialogue, François Hollande s’est plu à souligner que Jean-François Copé n’était
qu’un faire-valoir et pas un décideur. Comme chef de l’UMP, il n’a aucun pouvoir et c’est même confirmé avec sourire par l’intéressé. C’est alors que le naturel est revenu chez François
Hollande : voulant faire un beau mot, il a concédé qu’il avait aussi été dans son cas (chef de parti)… et qu’il n’avait eu aucun pouvoir !
Voici le dialogue exact, à la cinquième minute de la confrontation :
FH : Je ne prends pas de décision comme vous, enfin, pas comme vous, puisque vous ne prenez pas de décision, mais comme
Nicolas Sarkozy, euh...
JFC :
ça, c'est clair !
FH : Je ne vais les prendre à la légère.
JFC : C'est dit un peu méchamment, mais c'est pas faux.
FH : Non, très gentiment.
JFC : Très gentiment ! Mais alors, dans ce cas, pour rester…
FH : J'ai été dans votre position, de chef de parti. On ne prend pas de décision...
D’ailleurs, juste après avoir fini sa phrase, François Hollande a fait une grimace montrant clairement qu’il
a pris conscience de sa gaffe et espérant qu’elle ne serait pas relevée par son opposant. Avec le regard d’un élève qui a fauté et qui regarde son professeur pour savoir s’il a été vu.
En clair, François Hollande venait de détruire la seule argumentation sur son expérience de responsable politique. En effet, il est critiqué non sans
raison pour n’avoir exercé aucune responsabilité ministérielle, aussi minime soit-elle. Pour sa défense, il avait soutenu que toutes les décisions du gouvernement Jospin (1997 à 2002) avaient toujours été prises avec lui, comme premier secrétaire du Parti
socialiste.
Jean-Luc Mélenchon peut même s’enorgueillir d’être le seul
des trois candidats de la gauche gouvernementale présents en 2012 à avoir eu une expérience ministérielle.
Et là, curieusement, juste pour le plaisir de la plaisanterie courtoise (son art raffiné qu’il s’applique pourtant à ne plus pratiquer), il venait
d’avouer qu’il n’avait eu aucune capacité de décision lorsqu’il était à la tête du PS quand celui-ci était au pouvoir.
Indifférence discrète
Toujours aussi curieusement, Jean-François Copé n’a même pas relevé cet aveu de non décision, peut-être trop concentré dans ses propres attaques,
puisque quelques secondes après, il essayait de démontrer que François Hollande était flou et sans conviction : « J’ai compris une chose, à
force de vous regarder, et là encore, cette émission, c’était très clair pour ça. Vous avez une technique, c’est que vous êtes, comment dire, un peu comme l’anguille, là, c’est-à-dire vous
écoutez et vous dites systématiquement à chacun ce qu’il a envie d’entendre. ».
Ou peut-être parce qu’il avait aussi évoqué le "bilan" de François Hollande, comme président du Conseil général de Corrèze, département parmi les plus
endettés de France. Les responsabilités d’un élu local ne sont toutefois pas du tout comparables à celles d’un chef de l’État.
Qu’en sera-t-il lorsque le France sera en confrontation avec ses partenaires ?
De ce débat, il en est ressorti un candidat qui peinait face à la discussion, incapable de tenir le cap et de faire face à un interlocuteur coriace et
habile. Je l’imagine ainsi très mal dans des négociations européennes, au cours de marathons nocturnes éprouvants qui nécessitent endurance et combativité. Surtout quand on veut remettre en cause
un traité déjà accepté et signé par vingt-six États.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (23 mars
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Extraits vidéo du débat du 15 mars 2012.
La chasse aux sorcières en
Hollandie.
Copé
2017 ?
Juppé vs
Hollande.
Fabius vs
Sarkozy.
Valls vs
Bayrou.
Jack Lang et
Mélenchon vs Copé.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/debat-hollande-versus-cope-l-aveu-113143