On retient surtout de la carrière d'Henry Kissinger son engagement lors de la guerre du Vietnam et son prix Nobel en 1973 pour avoir été le secrétaire d'Etat américain signataire du cessez-le-feu à Paris avec le Nord-Vietnam. Mais, plus d'un an auparavant, sa visite secrète à Pékin chez l'"ennemi chinois" préparait la visite historique en février 1972 du président Richard Nixon et un bouleversement de la diplomatie mondiale, à l'occasion de "cinq journées de dialogue et de banquets entrecoupés d'excursions touristiques", se souvient-il dans De la Chine, une somme où se mêlent analyses historiques, souvenirs personnels et recommandations géopolitiques aux grands de ce monde.
Le livre, publié en 2011 aux Etats-Unis, est un "testament" du Kissinger connaisseur du géant asiatique, à la fois acteur et spectateur attentif qui ne se prive pas de prodiguer encore ses conseils. A près de 89 ans, l'ancien diplomate américain bénéficie en Chine du statut de "lao pengyou", ces "vieux amis" occidentaux, souvent compréhensifs, vers lesquels aime se tourner le régime communiste chinois en période de tensions. Des "idiots utiles", pour les esprits les plus critiques, des sages nécessaires, pour les tenants de la ligne réaliste.
Parmi les passages les plus intéressants du livre figurent les descriptions des leaders chinois qu'il a côtoyés. De Mao Zedong, fondateur de la Chine nouvelle, il dresse un portrait bienveillant et ne s'étend guère sur ses erreurs sanglantes (Grand Bond en avant et Révolution culturelle avec ses millions de morts). Il le montre comme un homme vieillissant mais à l'intelligence encore vive, dont la conversation était un "enchaînement de remarques caustiques, de réflexions et d'interrogations".
Henry Kissinger est surtout fasciné par Zhou Enlai, modèle pour lui du mandarin confucéen doté d'"une remarquable capacité à percer intuitivement à jour les éléments insaisissables de la psychologie de son interlocuteur". Enfin, habitué aux "dissertations philosophiques" et autres "allusions indirectes de Mao" et au "professionnalisme élégant" de Zhou Enlai, Deng Xiaoping l'obligea à un effort d'adaptation. "Il me fallut un certain temps pour m'adapter au style acerbe et avisé de Deng", l'homme des réformes et de l'ouverture, avoue-t-il.
Le livre permet aussi à celui qui posa les fondements d'une nouvelle relation sino-américaine en pleine guerre froide d'en décrypter les évolutions, de la rupture post-Tiananmen aux antagonismes croissants provoqués par l'émergence de la superpuissance chinoise. Au-delà des divergences évidentes, culturelles, historiques et stratégiques et des contentieux sur le yuan ou les droits de l'homme, Henry Kissinger plaide pour une entente entre les deux grandes puissances, qui, toutes deux, "ont moins été des Etats-nations que des expressions continentales d'identités culturelles".
Si la Chine redoute une politique d'"endiguement" de la part des Etats-Unis, ces derniers craignent que l'empire du Milieu ne cherche à les expulser d'Asie. Selon Henry Kissinger, la solution pourrait passer par la mise en place d'une "communauté du Pacifique", avec l'espoir que les dirigeants des deux pays renouent avec l'esprit des années 1970. "La contribution la plus importante des dirigeants de l'époque fut leur volonté de voir plus haut que les problèmes de l'heure", dit-il, très docte, dans un plaidoyer pro domo.
Couverture de l'ouvrage d'Henry Kissinger, "De la Chine". | FAYARDDE LA CHINE d'Henry Kissinger. Fayard, 564 p., 26 €.
François Bougon
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