Tristes scories de Toulouse

Publié le 23 mars 2012 par H16

Tout se déroule comme prévu, et même un peu plus vite : la poudre des tirs pas encore dispersée et le cadavre de Merah encore chaud, le chef de l’État a déjà ouvert la bouche, émis des sons et proféré une consternante litanie d’abrutissantes bêtises qui sont l’apanage des imbéciles, des dictateurs ou des candidats à la présidence…

Dans la course à un monde toujours plus exempt d’aspérité et de dangers (mettez ce que vous voulez derrière le mot « danger » : terrorisme, accidents de la route ou cassoulet-frites, peu importe), Nicolas Sarkozy vient de prendre une bonne longueur d’avance.

Certes, dans les candidats, on avait déjà pu savourer la fine pensée philosophique d’un Cheminade en pleine forme (d’ailleurs épaulé par une Laure Manaudou qui ne sait manifestement pas contrôler son compte twitter), et on se doutait que les jeux vidéo, normalement responsables d’une bonne partie des plaies d’Égypte, des fusillades américaines et d’une cargaison de lolcats déchaînés, étaient une nouvelle fois sur le banc des accusés.

Certes aussi, les heures qui viennent de passer ont sans doute été longues pour certains, tant sur le plan policier que sur le plan politique. Il aura fallu, notamment pour la droite, se faire violence et s’empêcher par tous les moyens possibles d’ouvrir le bec et faire une déclaration malheureuse alors que l’émotion de lundi sur la tuerie d’enfants n’était pas encore retombée et que l’émotion de mercredi sur la très longue « extraction » du tueur n’avait pas fini de monter. Pour la gauche, étant naturellement dans le camp de gentils, les vannes à bêtises habituelles étaient ouvertes en grand, mais là, on est dans le business as usual et donc le commentaire ne s’impose même pas.

Certes, tant d’heures passées sans agiter ses petits poings, sans lever vigoureusement son petit menton, sans froncer fermement les sourcils, c’était déjà héroïque pour un individu dont le comportement laisse penser à un chihuahua sous amphétamines.

On comprend un peu que, dès l’arrêt des hostilités annoncé, le barrage mental — qui retenait jusque là le flot de pulsions verbales incontrôlées — ait cédé d’un seul coup, chpaf, et ait abouti à la déclaration suivante du chef de l’État :

« Toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme, ou véhiculant des appels à la haine ou à la violence, sera puni pénalement. »

Pour le coup, j’aurais largement préféré que ce fut Manaudou, Cheminade ou même l’une ou l’autre spécialité culinaire de gauche qui dégoisent une telle saillie pour occuper l’espace médiatique : il y aurait eu une nouvelle salve de tweets rigolos, une paire de lolcats ninja, et c’était plié, on passait à autre chose, à commencer par une nécessaire et respectable pause dans les propositions idiotes de campagne.

Mais non. C’est bien le président en exercice qui vient de proposer une mesure parfaitement idiote et surtout, parfaitement liberticide.

En effet, la liberté d’expression suppose d’une part de pouvoir exprimer aussi des points de vue lamentables ou scandaleux (là encore, mettez la barrière où vous voulez, peu importe). D’autre part, la consultation de sites tenant ce genre de propos ne peut pas constituer, en soi, la preuve que la personne désire commettre des actes illégaux suites aux recommandations et apologies effectuées ; typiquement, un site qui fournit l’accès direct aux productions littéraires d’Hitler, les « meilleures » feuilles de Mao, Pol Pot, ou des archives décrivant la mise en place et les raisons qui ont abouti à l’Holodomor, un tel site véhicule bel et bien des appels à la haine et à la violence. Tout chercheur désirant se renseigner ou étudier les contenus proposés tombe alors sous le coup de cette loi.

Des petits plaisantins pourront m’objecter que la justice saura faire la différence. Je me permets de leur répondre que la liberté d’expression ne se découpe pas en petites tranches fines, et que cette méthode est évidemment la continuation logique et funeste d’autres découpages qui aboutissent immanquablement à ne plus avoir de liberté d’expression du tout. En outre, le politiquement correct et les associations anti-machin diverses ont déjà fait un travail de sape suffisamment avancé pour que l’expression ne soit déjà plus réellement libre. Point n’est besoin d’ajouter des lois sur l’auto-censure qui règne déjà, merci.

D’autres petits plaisantins, cette fois-ci armés du code pénal, m’objecteront que l’article 227-3 fonctionne déjà pour les sites pédophiles et qu’il s’agirait d’une simple transposition. Mais bien sûr.

Sauf qu’exprimer une opinion, un avis, se fendre d’un site appelant à la guerre sainte ou à l’extermination des roux, des lolcats ou des sauriens qui dominent le monde d’un côté, et de l’autre, prendre en photo un gamin de 10 ans se faisant enfiler par un adulte, ce n’est pas exactement la même chose.

Dans un cas, on exprime une accablante bêtise et on peut montrer à la face du monde la puissance de son non-raisonnement. Dans l’autre, on est le complice d’un acte moralement et pénalement répréhensible. Dans un cas, on explique par exemple sa haine d’une catégorie de personnes, ce qui est idiot. Dans l’autre, on participe à l’entretien d’une pratique totalement illégale. D’ailleurs, la loi ne condamne pas un site qui décrirait une scène de viol sur mineur, de même qu’elle ne poursuit pas les auteurs de livres décrivant de tels actes. C’est bien d’images qu’il s’agit.

Et le fait même que la loi introduise bien une distinction de cet ordre devrait clairement indiquer la limite à ne pas franchir, limite allègrement oubliée par le chef de l’Etat en pleine crise d’actionnite aigüe.

Dès les premiers éléments de l’affaire Merah, plusieurs intervenants sur ce blog et ailleurs avaient à raison pointé la triste évidence : le gouvernement en place allait se servir sans la moindre vergogne des événements pour justifier toute une batterie de mesures cosmétiques afin de prouver au monde et aux électeurs qu’ils agissent pour notre plus grand bien.

Bien que la vidéosurveillance ait prouvé, dans cette affaire comme dans d’autres, son inefficacité, on peut parier qu’elle en sortira renforcée comme outil de sécurité. De la même façon, on arguera de l’important délai entre les premiers meurtres et la localisation du tueur pour accroître la surveillance d’Internet, alors que, très manifestement, c’est bien l’organisation interne de la police et l’utilisation sous-optimale des moyens qui sont déjà à sa disposition qui ont provoqué ce délai.

Enfin, on jouera toujours sur l’émotion, légitime, qui s’empare des citoyens, pour justifier sur le moment l’emprisonnement douillet, lent, pervasif et définitif de 65 millions de personnes afin de choper le fou qui sévit une fois l’an. Seulement voilà : quoi qu’on fasse, il y aura toujours des fous, plus ou moins déterminés et l’échec des mesures n’en est alors que plus flagrant. Sous prétexte de nous aider à vivre dans un gros édredon moelleux que seule la République du Bisounoursland est capable de nous offrir, on va, une fois de plus, échanger une bonne partie de nos libertés (et ici, pas des moindres, celle d’expression) pour une sécurité complètement illusoire.

Et évidemment, nous n’aurons ni l’une, ni l’autre.

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