Annexe à un probable prochain post : un extrait de Déjà mort, de Denis Johnson

Publié le 12 mars 2008 par Untel
"(...) Van pratique sur lui-même des tas de trucs bizarres depuis longtemps. Je vais vous dire comment comprendre ça. C'est pas un psychopathe, il est pas tordu à ce point, il a pas été trop mal éduqué, non. Il a pas été corrompu par telle ou telle chose, comme un politicien ou un prêtre. Mais c'est comme ça. Est-ce que ça vous est déjà arrivé de vous laisser aller à des pensées bizarres, comme, par exemple, vous sentez que si vous attachez d'abord votre chaussure gauche, il va vous arriver malheur, alors vous attachez la droite en premier? Ou bien vous allez saisir une poignée de porte avec votre main droite, mais non, il faut pas, ça va vous bousiller la vie et alors - il mima le geste - vous vous servez de votre main gauche. Faut que vous payiez avec ce dollar, pas avec cet autre. Impossible de vous gratter le crâne avant d'avoir compté jusqu'à cinq, des trucs comme ça, toutes la sainte journée?
- Certains jours. Parfois. Très souvent.
- Alors que faites-vous pour ne pas devenir un gros nœud névrotique?
- Moi? Je résiste.
- Exactement, mec. Y en a marre, que vous dites. Vous surmontez cette impulsion. Van en est là, exactement là, mais à un autre niveau, beaucoup plus profond. Il s'est retourné comme un gant. Un coup de génie. Il surmonte toute volonté de surmonter, vous pigez? Il laisse libre cours à toutes ses impulsions. Il a commencé comme ça il y a des années - je le connaissais déjà - on était camarades - je sais de quoi je parle. Mec. Il s'est transformé en couteau. Et il coupe encore et encore. Fais-le, sans réfléchir. Voilà sa conception de la liberté."
(trad. Matthieussent, légèrement modifiée pour les besoins de la cause)