Les eurocrates, le socialiste José Manuel Barroso en tête, ont poussé des cris d'orfraie quand ils ont appris que la Grande-Bretagne et la Suisse avaient signé, dans leur dos, un accord modèle Rubik pour régler la situation des Britanniques ayant des comptes bancaires en Suisse.
Ils l'avaient d'autant plus mauvaise que les deux conseillers fédéraux, Didier Burkhalter et Eveline Widmer-Schlumpf, de surcroît présidente de la Confédération, venaient leur rendre visite juste après avoir apposé leur signature sur cet accord.
Ces accords tirent leur nom du cube tridimensionnel articulé [dont la photo provient d'ici], casse-tête, inventé par le Hongrois Ernö Rubik, dont il faut regrouper les couleurs sur les six faces. Par analogie l'idée, concoctée par l'Association des banques étrangères en Suisse, était de remettre de l'ordre dans un secteur bancaire en pleine confusion.
Concrètement ces accords modèle Rubik maintiennent le secret bancaire en contrepartie d'un prélèvement à la source sur les comptes en Suisse non déclarés chez eux par des détenteurs étrangers. Ce prélèvement est ensuite reversé aux pays dont ces détenteurs sont les ressortissants.
Cette façon de faire n'est pas morale, puisqu'il s'agit de monnayer un droit de l'homme. En effet la sphère privée est un droit de l'homme que le secret bancaire est destiné à protéger. Naguère il s'agissait d'un principe helvétique qui, malheureusement, est de plus en plus foulé au pied par la Suisse elle-même.
Les pays de l'Union européenne sont heureusement divisés sur la question de l'évasion fiscale.
Les pays les moins libres, ou, si l'on préfère, les plus socialistes, veulent harmoniser les fiscalités, ce qui se fait inévitablement à la hausse. S'il n'y a plus de différence entre les fiscalités nationales, plus rien ne s'oppose, selon eux, à un échange automatique des données pour rendre au pays d'origine de l'évadé fiscal ce qui lui est dû. Ces pays sont les chouchous des eurocrates.
Les pays les plus pragmatiques, et sans vergogne, veulent faire rentrer de l'argent tout de suite. C'est le précepte du fabuliste, selon lequel un tien vaut mieux que deux tu l'auras. Tout le monde est content : le secret bancaire est préservé, du moins en apparence, et les sous retrouvent la case départ. Les banques jouant le mauvais rôle - qui n'est pas le leur - de percepteurs d'impôts.
Les pays les plus libéraux, ceux qui ne craignent pas la concurrence fiscale, parce qu'ils sont les moins gourmands, du moins en comparaison des autres, sont sinon favorables, du moins indifférents au secret bancaire sans conditions. Ils ne se font d'ailleurs guère d'illusion, ni sur l'échange automatique d'informations, ni sur le secret bancaire maintenu contre paiement. Ils se situent plutôt dans l'est européen. Ils savourent la liberté pour en avoir été privés longtemps.
En obtenant cet accord, modèle Rubik, avec la Grande-Bretagne, pays pragmatique, la Suisse n'a certes pas fait preuve d'une grande moralité, mais elle a contribué à fissurer davantage l'Union européenne sur la question de l'évasion fiscale. Ce qui explique la colère non dissimulée de l'eurocrate non élu, José Manuel Barroso, qui est prêt ici à contester l'accord devant la Cour européenne s'il n'est pas conforme au droit européen...
La bataille est engagée entre les eurocrates et les récalcitrants à l'harmonie fiscale. Il est à souhaiter que les seconds finissent par l'emporter sur les premiers. Car si, d'aventure, les eurocrates parvenaient à harmoniser les fiscalités européennes entre elles dans un premier temps, puis parvenaient dans un deuxième à obliger les pays tiers qui ont conclu des accords bilatéraux à faire de même avec l'UE, via le droit européen, alors il serait à craindre que ne se réalise la prophétie de Michel Audiard:
"Le jour est proche où nous n'aurons plus que l'impôt sur les os."
Francis Richard