La question de l'indépendance de l’Écosse vient au devant de la scène. Au motif que le gouvernement écossais, dirigé par les nationales du SNP (Scottish National Party), prépare un référendum pour 2014, ainsi que nous l'explique l'excellente page du Monde de Mercredi (introuvable sur le net, désolé).
1/ Ce qui est le plus frappant dans cette histoire, c'est que c'est le pays "pauvre" qui s'engage dans la revendication indépendantiste : d'habitude, ces temps-ci, en Europe, on voit plutôt des régions riches qui refusent de payer. Là, au contraire, le principal frein à l'indépendance tient à la subvention que verse le Royaume-Uni à l’Écosse.
2/ Pour le reste, personne ne doute de la possibilité de cette indépendance, pour une nation qui a des équipes nationales (de foot et de rugby), une formule étatique minimale malgré le traité d'Union de 1707, et une identité forte à coup de moutons, de gaélique et de whisky (pure malt, surtout celui des Isleys, bien sûr). Je ne parle pas des kilts et des lancers de troncs d'arbres, évidemment folkloriques.
3/ Bref, au-delà de l'identité qui est ici évidente et pas fabriquée comme ailleurs, il y a une histoire de gros sous. Mais pas seulement.
4/ Le leader indépendantiste, Alex Salmond, a gagné beaucoup de paris : un référendum en 1997 conduisant à la création d'un gouvernement régional, une majorité relative du SNP en 2007, une majorité absolue en 2011. Le référendum de 2014 n'est donc pas forcément perdu, quoiqu'en disent les sondages d'aujourd'hui.
5/ A. Salmond clame : il n'y aura pas de frontières avec l'Angleterre (une sorte de Schengen britannique qui va de soi), on garde la reine comme chef de l’État (ça ne coûte rien et ça fait "so Commonwealth"), et on garde la sterling pendant au moins dix ans (ça, ça se discute : juste le temps de gérer la transition, puis on file à l'euro vite fait pour devenir une deuxième Irlande, point d'entrée des investissements anglo-saxons dans la zone euros, surtout si on ménage un impôt sur les sociétés suffisamment bas : dans les highlands, autant de moutons qu'en Eirin, mais du vrai Whisky et Londres accessible plus vite...).
6/ Oui, mais la contribution ? Oh, simple répond-il : on calcule les droits venant du pétrole de la mer du Nord, et pour le coup, on se base sur les limites de pêche... Ben voyons. Pas de frontières, qu'il disait, mais là, il invente une frontière maritime tout à son avantage. Ce qui nous rappelle, une fois de plus, que la grande colonisation de ce 21ème siècle est la colonisation maritime, et notamment celle des sous-sols. Là est le point crucial du débat, là est la vraie dispute territoriale, ne vous y trompez pas.
7/ Cela étant, imaginons que les indépendantistes parviennent à leur fin : quelle conséquence ? Probablement, ils entreront fissa dans l'UE. Probablement aussi dans l'Alliance, mais ce n'est pas sûr : entre faire plaisir aux Américains et jouer là aussi à l'irlandaise en proclamant une neutralité dirigée surtout contre les Anglais, les deux options sont tentantes. De même, on peut parier qu'ils mobiliseront la diaspora pour créer un réseau d’influence à l'anglo-saxonne, qui sera immédiatement assez puissant. Enfin, il ne serait pas surprenant qu'ils deviennent assez rapidement observateurs du Conseil arctique (les Shetlands sont à la latitude des îles Féroé : certes au sud du cercle polaire, mais pas loin)... Comme ça interviendra à peu près au même moment où les Groenlandais deviendront indépendants....
8/ En tout état de cause, cette indépendance sera un affaiblissement de la position britannique (anglo-ulstero-galloise) : Déclassement démographique mais aussi en PIB, conséquences au Parlement européen, ... La position relative de la GB reculera mécaniquement. Et elle sera visible surtout en Europe. Mais aussi de l'autre côté de l'Atlantique.
sourceJe n'entrerai pas dans les conséquences sur la défense, déjà très bien débroussaillées par Florent (mars attaque) dans son très intéressant billet qui évoque le partage des unités militaires...... Un mot pourtant sur la base nucléaire de Faslane : il est très peu probable que les Britanniques soient prêts à déplacer la dite base ailleurs (coût bien trop important). On peut donc s'attendre à une négociation qui ressemblera très fortement à celle entre Russes et Ukrainiens autour du stationnement de la flotte russe à Odessa. Il est sûr que ce point de Faslane permettra aux indépendantistes de hisser les enchères assez haut, notamment sur la question du partage des eaux territoriales. Je viens de vérifier sur l'excellent atlas géopolitique des espaces maritimes , d'Ortolland et Pirat : la délimitation entre Écosse et GB n'est pas dessinée....
9/ Une dernière conséquence portera sur la politique intérieure britannique : on sait que les gros bataillons du Labour viennent d’Écosse. Si celle-ci devient indépendante, la traditionnelle opposition de gauche sera laminée. On devrait donc voir une alliance entre les labour résiduels et les lib-dem. Mais surtout, on devrait voir une très grande majorité conservatrice : alors, si on prolonge le raisonnement et qu'on échafaude des hypothèses (hasardeuses, comme toutes les conjectures), une scission est possible à droite entre modérés et eurosceptiques, surtout si ceux-ci entrevoient la majorité : une conséquence ultime pourrait alors être un référendum sur l'Europe, et qui sait la sortie de la GB de l'UE. On n'en est pas encore là, mais il est sûr que ces calculs politiciens pourraient peser dans la balance.
Ainsi, cette indépendance écossaise est tout d'abord possible : elle fermerait une parenthèse de 300 ans et redonnerait à un pays "qui a toujours existé" une souveraineté westphalienne. Cela signifierait que l'ère des "luttes de libération nationale" n'est pas close en Europe, même s'il s'agit d'un processus civilisé (j'imagine déjà les titres des journalistes : après le divorce de velours, le divorce de tartan). Cela renforcerait de plus toutes les formules séparatistes qui existent à travers le continent. Le scénario d'un émiettement européen est donc plus que jamais envisageable : s'il se produit, cela aura des conséquences sur l'équilibre européen : une surprise stratégique douce, en quelque sorte.
O. Kempf
NB : ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.