Né à Argentan (Orne) le 1er janvier 1959, Michel Onfray grandit dans un petit village de Normandie. Après des études de philosophie, il enseigne cette discipline au lycée privé Sainte-Ursule de Caen de 1983 à 2002.
Démissionnaire de l'Education nationale en 2002, il lance l'Université populaire de Caen, ouverte à tous, pour raconter une autre histoire de la philosophie. Toutes les semaines, ses conférences sont suivies par des centaines de personnes se délectant de la parole du maître. En 2006, il récidive et crée l'Université populaire du goût à Argentan.
Souvent qualifié d'hédoniste, Michel Onfray prône une philosophie de l'immédiateté, des sens et du corps, dans La Puissance d'exister notamment, l'un de ses livres clés. Auteur du médiatique Traité d'athéologie (plus de 300 000 exemplaires vendus), le Normand dénonce toute pensée qui se tourne vers l'au-delà et l'ailleurs, plutôt que de rester dans ce monde.
Où étiez-vous en mai 1968 ?
J'étais en CM2, j'avais 9 ans, j'étais avec une institutrice communiste qui fumait en classe, distribuait les gifles à tour de bras et envoyait des dictionnaires à la figure de tel ou tel. Elle écoutait les informations toutes les heures sur sa radio pendant les cours...
Quels souvenirs avez-vous de cet événement, malgré votre jeune âge à l'époque ?
Le village appartenait à un homme, "Monsieur Paul" : il possédait une fromagerie dans laquelle mon oncle était chauffeur laitier, une ferme de 500 hectares où mon père travaillait comme ouvrier agricole et un "château", une vaste demeure bourgeoise, dans laquelle ma mère était femme de ménage.
En mai, les ouvriers de l'usine, plus d'une centaine, avaient fait grève. Les camions n'étaient pas partis, le lait n'avait pas été ramassé, la production n'avait donc pas pu se faire, les paysans apportaient eux-mêmes leurs bidons en tracteurs. Il y avait une noria de tracteurs et des traces de lait renversé partout dans les rues du village.
C'était comme la fin du monde... On a dit non à "Monsieur Paul", ce qui, pour ce petit village de 500 habitants qui ne vivaient que de lui, correspondait à la décapitation de Louis XVI.
Que représente Mai 68 pour vous ?
Une révolution métaphysique qui se manifeste par la destruction du principe de hiérarchie : avant Mai 68, la hiérarchie triomphe partout, elle fait la loi - elle est la Loi. Le père a l'autorité sur ses enfants, le mari sur son épouse, les professeurs sur leurs élèves, les patrons sur leurs employés, les hommes sur les femmes, les mandarins sur leurs étudiants, et ce de droit divin, parce que c'était comme ça depuis des siècles.
Mai 68 met à mal ce schéma en affirmant que l'égalité triomphe, et la fraternité avec elle, ce qui ne saurait se faire sans la liberté qui se trouve d'ailleurs paradoxalement réalisée par cette opération égalitaire et fraternelle.
Mai 68 était-il nietzschéen ?
Non. Ni léniniste, ni maoïste, ni situationniste, ni lambertiste, ni communiste, ni socialiste. Mai 68 est une forme prise dans l'histoire par le mouvement des civilisations. La nôtre, devenue post-chrétienne depuis 1789, allait vers sa disparition en tant que telle, en tant que vieille Europe chrétienne. Elle se dirigeait vers sa fin.
Nous sommes actuellement dans une période de coma européen, avant la disparition de l'entité européenne. Le libéralisme tient lieu d'idéologie du nihilisme européen, il en est le symptôme.
L'an dernier, lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy déclarait vouloir "rompre avec les idées de 68". Qu'en pensez-vous ?
Nicolas Sarkozy ignore tout de l'histoire, ça comme le reste... Cet homme déteste son passé, donc le passé, donc l'histoire. Il est incapable de prévoir, il n'aime pas plus l'avenir. Pas plus il ne sait être dans le présent qu'il voudrait abolir au nom du moment à venir.
Cet homme est toujours à proximité du gouffre, sur le bord du précipice. L'histoire, la sienne, celle des autres, celle de la France ou du monde, est le cadet de ses soucis : n'attendons pas de lui qu'il ait une vision claire, nette, précise, intelligente de mai 68, comme de n'importe quel autre moment de l'histoire.
Sa façon de violer l'histoire - détournement de Jaurès, Blum, Guy Môquet, exhibition de son Oedipe politique avec De Gaulle, puis Chirac, etc. - le rend inapte à juger correctement de ce que fut Mai 68.
L'Université populaire est-elle l'héritière de Mai 68 ?
Notre époque est l'héritière de Mai 68, quoi qu'on en pense. Nicolas Sarkozy lui-même n'aurait pu être ce qu'il est, vivre ce qu'il vit, exposer ce qu'il expose aujourd'hui, si Mai 68 n'avait pas eu lieu en rendant possible cette morale post-chrétienne, notamment sur le terrain des mœurs.
L'Université populaire est une réponse fragmentaire, sous forme de résistance libertaire, à la marche libérale et nihiliste. En ce sens, elle est une lointaine fille de Mai.
Propos recueillis par Mic Gaur d'Imaur.