Comment contournerla règle de l’égalité du temps de parole entre les candidats à l’électionprésidentielle ? La recette est simple, mais efficace. Elle consiste pourl’essentiel à faire venir sur les antennes des radios et sur les plateaux detélévision, de soi-disant experts. Des politologues, des chercheurs en sciencespolitiques, qui, dans ce rôle d’expert qu’ils jouent autant qu’on leur faitjouer, seraient par nature, des personnes neutres, analysant« scientifiquement » le déroulement de la campagne, donc de manière incontestableet non partisane. Rien n’est moins vrai cependant. Mais ainsi catalogués, leurtemps de parole n’intervient pas dans le décompte opéré pour chacun descandidats. Et le tour est joué.
Pour s’enconvaincre, il suffit de se pencher sur le cas de Dominique Reynié, exemplaireà plus d’un titre. Depuis quelques jours, il est partout. Il enchaîne interviewset débats avec fébrilité, délivrant ses verdicts sur un mode péremptoire qui nesouffre aucune controverse.
DominiqueReynié, diplômé de Sciences-Po Paris où il enseigne, après avoir été expertauprès de la Commission européenne, est le directeur général de la « Fondationpour l’innovation politique ». C’est à ce titre qu’il est le plus souventprésenté là où il sévit. « Fondation pour l’innovation politique »,c’est la dénomination ronflante d’un organisme qui se voudrait tout ce qu’il ya de plus officiel. Ce qu’il n’est pas. « La Fondation pour l’innovationpolitique », de droit privé, n’est qu’un cercle de réflexion français decentre droit et d’orientation libérale créé en 2004 avec le soutien de l’UMP. JacquesMonod, ancien conseiller de Jacques Chirac, en serait encore le président. C’esttout dire. Dès lors, il apparaît clairement que cet organisme n’est qu’un fauxnez de la Droite dont le porte-parole en est son directeur général, DominiqueReynié. Yves Calvi sur France 5 et bien d’autres journalistes politiques àFrance Inter comme à France Culture seraient bien avisés, s’ils étaientintellectuellement honnêtes, de le rappeler chaque fois qu’ils l’invitent, cequ’ils se gardent bien de faire.
Or, depuissa création début 2009, les médias dans leur ensemble, ont superbement ignoréle Front de Gauche. Et quand par hasard ils en ont parlé, c’est indirectement,en réduisant leur curiosité à la seule personne de Jean-Luc Mélenchon. Mais sansjamais chercher à analyser son discours et ses idées autrement qu’en lesqualifiant de populistes. Voilà désormais qu’il devient impossible de nier laréalité du Front de Gauche et la place qu’occupe son candidat parmi ceuxproclamés « grands ». Pour tous ceux qui ont voulu réduire la viepolitique française au bipartisme, c’est un échec. Il leur faut donc à présentdévelopper les uns après les autres tous les arguments visant à minimiser laplace et le rôle que jouent le Front de Gauche et Jean-Luc Mélenchon dans lacampagne. À ce jeu, Dominique Reynié développe incontestablement un grandsavoir-faire et se montre le zélé serviteur de ceux à qui il doit la placequ’il occupe. Dominique Reynié est l’un des chiens de garde du libéralisme.Mais, bien entendu, il avance masqué.
Reprenantà son compte les accusations éculées de populisme, plaçant sur un piedd’égalité Front de Gauche et Front national et les renvoyant dos à dos comme lefit lamentablement en son temps le dessinateur Plantu, réduisant le programme « l’Humain d’abord » àquelques propositions simplistes et caricaturales, Dominique Reynié analyse defaçon fallacieuse la composition sociologique et le poids politique dudit Frontde Gauche, et le réduit par avance au rôle de supplétif du Parti socialiste. Ilest un falsificateur de la réalité qui n’en finit pas de distiller analysesréductrices et propos fielleux.
Quipourrait croire un seul instant cette affirmation débile de Dominique Reynié selonlaquelle Jean-Luc Mélenchon – fort de la popularité qui est la sienne, et sitant est qu’il en aurait envie –, aurait besoin de l’accord du Parti socialistepour se présenter aux législatives dans n’importe quelle circonscription. Etqu’à ce jour il ne disposerait pas d’un tel accord. Quel expert un tant soitpeu sérieux pourrait imaginer pareille fable ? Ce n’est même pas du niveaud’un argument de café du Commerce. Mais pour qui nous prend-t-il pour tenter denous faire avaler pareil bobard ?
Il n’esthélas pas le seul à jouer sur le registre de la désinformation. Il apparaîtchaque jour que nombre de personnalités médiatiques : intellectuels,artistes, hommes ou femmes de sciences, anciens journalistes même, dontmanifestement la plupart n’ont lu aucun des programmes des candidats – du moinspour ceux qui en ont un –, ont le bon goût de faire savoir à qui veut lesentendre qu’aucun des candidats ne trouve grâce à leurs yeux parce que neproduisant aucune idée ou proposition innovantes. Déclarer le niveau médiocreet la campagne ennuyeuse est du dernier chic et semble bien devenir la dernièretendance parisienne. Le summum est atteint lorsqu’un psychanalyste à la mode,mais dont nous tairons le nom – inutile de lui faire de la publicité – a mêmejugé pertinent de comparer la démarche de Jean-Luc Mélenchon à celle de Coluche,candidat à la présidentielle en 1981, sur le plateau de l’émission de FrédéricTaddeï. Et cela en présence du philosophe Bernard Stiegler, médusé, sedemandant ce qu’il faisait là.
L’immensesuccès du rassemblement du Front de Gauche pour la VIème République le 18 marsà la Bastille dérange beaucoup. À droite comme à gauche. La progressionrégulière de Jean-Luc Mélenchon dans tous les sondages, la reconnaissanceunanime que c’est lui qui mène, et de loin, la meilleure campagne, bousculenttous les scénarii prévus de longue date. C’est une réalité qui dérange parceque, comme pour le référendum sur le TCE de 2005, elle prend à revers tous les penseursen rond du fameux club du Siècle, administrateurs du système dans lequel ilsoccupent des places interchangeables et bénéficient des prébendes qui s’yrattachent. Visiblement, ils n’apprécient guère que le Peuple, à leurs yeux forcémentsuspect, veuille se mêler lui-même de ses affaires et remette ainsi en questiontout ou partie de leur pouvoir. À cela rien d’étonnant. C’est à eux toutparticulièrement que pensait Jean-Luc Mélenchon quand il écrivait son ouvrage « Qu’ils s’en aillenttous ! ». Et quand il le dédicaçait ainsi à Arlette Chabot :« Ça vous concerne,évidemment ! » Un crime de lèse-majesté qu’il convient de punircomme il se doit. Les chiens sont lâchés.
ReynaldHarlautFront deGauche