![Un printemps de promesses. Concertos pour piano de Mozart par La Petite Symphonie & Daniel Isoir jacob philipp hackert paysage avec palais caserte vesuve](http://media.paperblog.fr/i/540/5409730/printemps-promesses-concertos-piano-mozart-pe-L-Xkwutk.jpeg)
Jacob Philipp Hackert (Prenzlau, 1737-San Pietro di Carregi, 1807),
Paysage avec le palais de Caserte et le Vésuve, 1793.
Huile sur toile, 93 x 130 cm, Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza
(INV n° 177/1982.46 – Cliché © Musée Thyssen-Bornemisza)
Invariablement, chaque nouvelle parution consacrée à Mozart a tendance à provoquer chez moi une réaction empreinte de lassitude, en songeant aux rayons des discothèques croulant déjà sous de multiples références. Rares sont, en effet, les artistes qui parviennent à proposer quelque chose de réellement différent et convaincant dans un répertoire qui porte l’empreinte des plus grands interprètes d’hier et d’aujourd’hui. Pour son tout premier enregistrement, La Petite Symphonie, dirigée du pianoforte par Daniel Isoir, a néanmoins choisi d’affronter trois de ses concertos pour piano, une aventure publiée par le jeune et audacieux label agOgique.
Affirmer que Mozart a confié nombre de ses meilleures inspirations à sa musique concertante avec clavier a la banalité de
l’évidence. Il n’est sans doute cependant pas inutile de rappeler qu’il demeure le compositeur de la seconde moitié du XVIIIe siècle qui, à la
suite de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788), a apporté à ce genre la contribution la plus significative, tant en quantité qu’en qualité, et a concouru, comme son aîné, à le faire basculer du
côté de la musique « sérieuse ». Si l’on excepte les concertos KV (Köchelverzeichnis, catalogue des œuvres de Mozart par Ludwig von Köchel) 37, 39-41 et 107, qui sont des
arrangements réalisés à partir de partitions d’autres compositeurs – entre autres Schobert, Raupach, Eckard, CPE et surtout JC Bach – particulièrement intéressants pour connaître les sources
d’inspiration du jeune musicien, la véritable production de Mozart dans ce domaine s’étend de décembre 1773 (KV 175) à janvier 1791 (KV 595, enregistré ici), ce qui en fait, malgré quelques
éclipses, le compagnon de toute une vie de créateur, dont il épouse d’ailleurs étroitement la courbe. Le Concerto en ut majeur (n°13, KV 415) fait partie, avec les KV 414 et 413, du
groupe des trois premiers composés à et pour Vienne entre l’automne et l’hiver 1782. Cet ensemble peut être considéré comme la carte de visite d’un musicien soucieux de trouver sa place auprès
d’un large public qui avait applaudi Die Entführung aus dem Serail, créé le 16 juillet précédent. Le Concerto KV 415 se présente donc, conformément à la clarté de sa signature d’ut
majeur, comme une partition très brillante, d’humeur globalement lumineuse et conquérante, en particulier dans son premier mouvement très affirmé et dans son dernier plutôt espiègle dont la
légèreté est sauvée de l’ébullition superficielle par deux épisodes adagio en ut mineur – tonalité envisagée au départ par Mozart pour l’Andante central, mais abandonnée au
profit d’un paisible fa majeur – qui ouvrent des abîmes sous les pas de l’auditeur. Les ambitions du Concerto KV 449 sont bien différentes.
À la majorité d’entre nous, habituée à des versions avec des orchestres plus ou moins fournis, la proposition de La Petite
Symphonie, qui interprète ces concertos à un instrumentiste par partie, pourra paraître surprenante. Il faut savoir qu’elle se fonde sur une pratique historique documentée, Mozart précisant
expressément que KV 415 et 449 peuvent être joués « a quattro », c’est-à-dire en formation de quintette avec clavier, et des arrangements pour formation de chambre de
certaines de ses œuvres ayant circulé très tôt, puisqu’on possède, par exemple, une adaptation pour sextuor à cordes de sa Symphonie concertante KV 364 (enregistré en 1990 par
l’Archibudelli pour Vivarte). Daniel Isoir et ses musiciens (photographiés ci-dessous durant les sessions d’enregistrement) abordent ces trois œuvres avec une franchise et une fraîcheur
d’approche qui abolissent immédiatement les réserves que leur entreprise aurait d’aventure pu soulever. Pour lui permettre de connaître le meilleur des aboutissements, les interprètes ont mis
toutes les chances de leur côté, en choisissant un lieu dont l’acoustique sans sécheresse et sans excès de réverbération permet de goûter pleinement le grain des instruments tout en préservant
la netteté des plans sonores, qualités dont la captation très naturelle d’Alessandra Galleron rend parfaitement compte, et en effectuant un travail sur les partitions tout à fait remarquable.
En effet, là où certains se contenteraient de jouer les œuvres comme de simples réductions orchestrales, les équilibres et les nuances ont été ici totalement repensés en fonction de l’effectif
adopté et de ce qu’il permet.
Voici sans doute une des plus intéressantes parutions consacrées à Mozart ces derniers mois, non seulement parce qu’elle ouvre des perspectives réellement nouvelles sur l’interprétation de ses concertos pour piano, mais surtout parce qu’elle est la première à tirer toutes les conséquences des partis-pris esthétiques qu’elle adopte, cette cohérence signant sa très belle réussite. Portée par d’excellents musiciens à la complicité et à l’enthousiasme réjouissants que l’on espère d’ailleurs retrouver très vite, tant ensemble qu’individuellement, cette réalisation, si l’on peut gager qu’elle ne fera pas forcément l’unanimité, est à connaître absolument par tout amateur mozartien, car elle démontre que l’inépuisable vitalité de sa musique peut encore nourrir de fertiles printemps.
La Petite Symphonie
Daniel Isoir, pianoforte d’après Stein (1780) & direction
1 CD [durée totale : 75’47”] agOgique AGO004. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Concerto n°14 : [II] Andantino
2. Concerto n°27 : [III] Allegro
Illustrations complémentaires :
Johann Ziegler (Meiningen, 1749-Vienne, 1812), Vue de l’Augarten, 1783. Eau-forte colorée, 39,8 x 52,5 cm, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek.
La photographie de Daniel Isoir et de La Petite Symphonie est d’Alessandra Galleron © agOgique