Etienne Davignon, président de Brussels Airlines, résume la situation en un seul mot, «intenable». La compagnie belge est victime d’une inexorable dégradation de ses résultats financiers, prise en tenaille entre les prix très élevés du kérosène et des coûts sociaux considérablement plus élevés que ceux que supportent certains de ses concurrents, à commencer par Ryanair. Cette dernière est fortement implantée à Charleroi (alias «Brussels South Airport»), bénéficie d’aides régionales substantielles et emploie du personnel navigant délocalisé, sous régime irlandais ou anglais.
Dans ces conditions, l’inquiétude ne cesse de croître au sein de la compagnie belge bâtie sur les cendres de la Sabena. Il faut rétablir les conditions d’une concurrence saine, dit-on à Bruxelles, thème d’une réunion que vient de tenir un comité ministériel restreint révélé par le quotidien économique L’Echo.
Le même jour, en France, curieux hasard de l’actualité, la section EasyJet du SNPL a exprimé sa mauvaise humeur à propos du «dumping social» de la compagnie britannique. Laquelle refuse, affirme le syndicat de pilotes, de signer des contrats de travail français que justifierait la création de nouvelles bases, à Nice et Toulouse. Et d’affirmer que «le fait de se soustraire à la législation sociale et au paiement des cotisations de sécurité sociale et de retraite crée une situation de concurrence déloyale vis-à-vis des autres compagnies aériennes respectant la législation». Une situation qui devrait susciter un grand intérêt outre-Quiévrain.
Dans les colonnes de L’Echo, notre confrère Patrick Anspach exprime un point de vue mesuré qui mérite réflexion. De son côté de la frontière, le problème s’appelle Ryanair et non pas EasyJet mais la difficulté est identique : il ne faut pas crier haro sur la compagnie irlandaise, fait-il remarquer. Si Ryanair peut, en toute légalité, employer du personnel belge basé en Belgique sans acquitter de contribution sociale, pourquoi devrait-elle s’en priver ? De même, si Ryanair bénéficie à Charleroi de redevances faibles et de subventions régionales, pourquoi devrait-elle refuser cette opportunité ?
C’est parler d’or. En effet, le problème délicat qui est posé sort largement du cadre du transport aérien. Il rappelle, si besoin est, que l’Europe sociale et fiscale n’existe tout simplement pas. D’autres exemples récents sont dans tous les esprits, à commencer par ceux de City Jet et d’Air Méditerranée.
La direction de Brussels Airlines témoigne tout à la fois de prudence et de fermeté. Elle dénonce une situation discriminatoire entre compagnies aériennes, une incongruité qui permet de percevoir des cotisations sociales dans le pays où est situé le siège d’une entreprise et non pas là où elle exerce ses activités, avec pour résultat une distorsion de la concurrence. Mais, point remarquable, Brussels Airlines ne demande pas d’aide publique mais plus simplement de connaître la réaction (et sous-entendu la réponse) des autorités.
Au même moment, la Belgique s’inquiète des conséquences sociales que pourrait susciter le rachat de TNT par UPS, l’implantation à Liège de la première risquant de se retrouver en situation de concurrence interne avec celle de Cologne de la seconde. Cette dualité annonce une prolongation du même débat européen, centré sur son volet aéroportuaire.
On en revient toujours à la même question : où est l’Europe ? Et au même constat, désolant : le transport aérien a effacé les frontières, à commencer par celles de l‘Europe. Mais l’Union européenne n’en est pas une.
Pierre Sparaco - AeroMorning