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Les spéculateurs sont-ils des parasites ? Première partie.

Publié le 22 mars 2012 par Copeau @Contrepoints

Dans cette première partie, demandons-nous pourquoi la spéculation existe et quelle est son utilité économique.

Par Vincent Bénard.

Les spéculateurs sont-ils des parasites ? Première partie.
Que les lecteurs réguliers me pardonnent d’aborder sous un angle didactique un sujet que nombre d’entre vous connaissez par cœur. Mais mes articles étant repris dans de nombreuses publications au public non initié, il m’a paru intéressant de répondre à une question fréquemment posée, surtout après mon article récent présentant des traders sous un visage humain ordinaire, alors que tout le monde ne voit en eux que des parasites : « À quoi sert la spéculation ? N’est-elle pas qu’une forme moderne de parasitisme opérée sur le dos de l’économie dite réelle ? » Ma réponse, vous vous en doutez, est « non ». La spéculation est au contraire une activité économique utile, à défaut d’être politiquement séduisante. 

À quand le port de l’étoile jaune pour les traders ?

Les gouvernements des états providence n’arrivent plus à écoper les voies d’eau de leurs Titanics budgétaires, leurs plans de relance sont des échecs abyssaux, et les épargnants du monde entier réclament des taux plus élevés pour prêter aux états les plus mal gérés. C’est honteux, il faut des responsables !

Les gouvernements ont exagérément creusé leurs déficits, me direz vous ? Eh bien non, croyez le, si les états ont autant de difficultés pour placer leurs emprunts, c’est à cause des affreux, des immondes SPÉCULATEURS, et notamment, immondes parmi les ignobles, les pires d’entre eux, les TRADERS, dont, par rétorsion, nombre de gouvernants affirment qu’il faudrait surtaxer les bonus, sans le moins du monde s’interroger sur le caractère discriminatoire d’une telle taxe, d’ailleurs.

La rudesse du discours anti spéculateurs et anti traders n’est d’ailleurs pas sans poser quelques questions très embarrassantes. Remplacez « spéculateur » ou « trader » par « banquier juif », et les discours de nos politiciens actuels ne sont guère différents de ceux qui avaient cours dans les années 30, quand certaines populations étaient accusées de tous les malheurs du monde. « La finance sans visage » chère à certains candidats à la présidentielle, c’est presque du Doriot dans le texte. À quand le port de l’étoile jaune pour les traders ?

Mais laissons de côté la polémique discriminatoire, et intéressons nous plutôt à cet animal assoiffé de profits rapides indifférent aux victimes de l’horreur économique qu’il sème sur son passage, j’ai nommé le vil, l’abject SPECULATEUR.

Étymologie : « voir loin »

Où commence et où finit le spéculateur ?

Étymologiquement, spéculer vient du latin « speculare », qui signifie initialement « observer au loin » et que les anciens ont vite utilisé pour évoquer une projection dans l’avenir.

Le spéculateur est celui qui estime des possibilités de gains futurs et prend des risques financiers en conséquence. Il apparaît donc que tout créateur d’entreprise, qui tente d’anticiper des gains futurs très incertains alors qu’il peut déterminer de façon très précise les positions financières qu’il doit prendre aujourd’hui pour mener à bien son projet, commet un acte hautement spéculatif. Les compagnies d’assurance tentent d’estimer des risques parfois extrêmes en priant pour ne pas se tromper dans l’estimation du coût afférent : là encore, c’est une activité spéculative, quand bien même cette spéculation est plutôt assise sur des comportements prudents. Dans la vie, le mariage spécule sur la solidité d’un couple à terme, il est un acte tout à fait spéculatif, et hautement risqué, à en juger par le nombre de divorces et, parfois, leurs conséquences financières et sociales. Exemples non limitatifs.

La spéculation est donc partout, dans notre vie, dans celle de toutes les entreprises. Mais évidemment, les pourfendeurs de la spéculation donnent à ce terme un sens plus réducteur.

En effet, la diatribe permanente contre le spéculateur financier ne vise pas celui qui fait un pari sur la capacité de séduction de sa propre production, mais le pur financier, le « trader », celui qui achète pour revendre rapidement, voire, pire, celui qui ose « vendre à découvert » actions, obligations, céréales, légumes, métaux, pétrole ou devises… La vente à découvert, voilà qui doit être vraiment pernicieux, puisque dès que tout va mal, les gouvernements parlent d’interdire cette pratique. Non ?

Mais la spéculation, au sens péjoratif, n’est elle qu’une affaire de joueurs de casino qui prennent des paris sur l’évolution d’un prix ?

Que nenni.

Des instruments d’assurance

Les premiers marchés à terme organisés connus furent des marchés agricoles, dont Aristote déjà relatait les mécanismes rudimentaires apparus dans la Grèce antique. Les premiers marchés à terme organisés connus apparurent au Japon vers 1700, puis en Grande Bretagne et à Chicago vers 1800. Ils étaient mis à profit par des paysans qui, ne sachant à l’avance si leur récolte serait chiche ou au contraire abondante, concluaient des contrats « à terme » avec leurs acheteurs, des coopératives, ou l’industrie agro-alimentaire naissante, pour ne pas avoir à vendre leur marchandise au jour le jour en fonction de cours par nature volatile, mais plutôt convenir à l’avance d’un prix avec des acheteurs.

Le principe en est assez simple : vous récoltez des pommes de terre, et un prix de vente de 1€ les 10 kg vous paraîtrait satisfaisant (je cite des cours au hasard). Mais vous savez que les prix peuvent fluctuer entre 0,60 et 1,50 selon les récoltes. En face, le fabricant de frites surgelées n’a qu’une crainte : que le prix des patates monte au dessus de 1,20€, rendant ses frites non rentables.

Les deux ont intérêt à conclure un accord « à terme » : plutôt que d’attendre le dernier moment pour conclure la transaction à un prix aléatoire fonction de l’abondance de la récolte de pommes de terres, autant passer un accord à terme entre acheteur et vendeur, au prix d’un euro.

Oui mais voilà, si chaque paysan doit contractualiser avec une poignée d’acheteurs des contrats à terme avant chaque récolte, le coût de la transaction, en temps passé, risque de lui poser quelques problèmes.

Les marchés à terme, grandes lignes

Les marchés à terme permettent de lever l’écueil en permettant à des milliers de vendeurs émiettés d’échanger leur marchandise à terme avec des milliers d’acheteurs tout aussi émiettés. L’organisateur du marché, le « market maker », met en vente, généralement par l’intermédiaire de courtiers, des contrats généralement appelés « options », dans lesquelles des personnes s’engagent à vendre ou acheter, à une date prédéterminée, des marchandises à un cours lui aussi prédéterminé. Peu importe de connaître les motifs des uns et des autres, chacun s’engage à effectuer une action à un terme donné, c’est au Market Maker de prendre ses précautions pour que tous les ordres d’achat et de vente à terme puissent être honorés.

Un exemple de fonctionnement, sur le marché à terme des devises : si vous êtes un vendeur d’avions, fabriquant en euros et vendant en dollars, votre hantise, lorsque vous signez un contrat dont le paiement aura lieu deux ans plus tard, est que la valeur du dollar se soit cassée la figure. Si vous concluez un contrat d’un milliard de dollars payés dans deux ans, alors que le dollar vaut, disons, 0,90 euros, vous avez calculé vos prix de façon à ce que les 900 millions d’euros qui rentreront dans vos caisses dans deux ans vous procurent un profit. Oui mais voilà, pour des raisons que vous ne maîtrisez pas, deux ans plus tard, le dollar ne vaut que 0,66 Euros. Si vous n’avez rien fait pour vous couvrir, votre contrat ne vaut plus que 660 millions d’Euros : c’est la faillite !

Heureusement, les marchés à terme sur les devises vous ont permis de vous couvrir. En effet, à la signature du contrat, vous vous êtes engagé à revendre vos dollars via des options de vente gérées sur un marché d’échange de devises, dans deux ans au cours de 0,90 Euros, et il s’est trouvé des gens qui ont estimé qu’ils pouvaient s’engager à acheter ces dollars à ce prix, nous verrons pourquoi ensuite.

Vous me direz : oui, mais si le dollar, dans les deux ans, au lieu de baisser, avait monté, par exemple à 1 Euro, que ce serait il passé ?

Eh bien, vous auriez toujours encaissé 1 milliards de dollars, qui vaudraient 1 milliards d’euros, mais, vous étant engagé à les vendre pour 900 millions d’euros, vous l’auriez fait, laissant échapper une prime substantielle de 100 millions. Mais on ne peut pas vouloir à la fois profiter des hausses et se couvrir contre les baisses.

Il apparait donc, à la lecture de ce premier exemple, que la spéculation repose d’abord sur l’exécution d’engagements contractuels : la spéculation n’est pas une affaire de pirates ou de flibustiers, mais une affaire de gens responsables qui s’engagent à respecter certains engagements à date fixe.

Contreparties

Mais, seconde question, si quelqu’un vend du dollar à terme, il faut bien que quelqu’un le rachète au même terme ? qui aurait eu intérêt à acheter à terme des dollars à 0,90 Euros, alors qu’en attendant un peu il aurait pu les avoir à 0,66 ?

Eh bien de la même façon, une compagnie qui sait que dans deux ans, elle devra acheter des marchandises pour 1 milliards de dollars, qui a prévu que cet achat par rapport à sa devise nationale se situe a un certain cours, n’a qu’une seule hantise, c’est que le dollar monte. Elle va donc s’engager à acheter à terme du dollar à 0,90 Euros, ou toute autre devise qu’elle jugera utile. Si le dollar monte, elle est protégée, si il baisse, la bonne affaire qu’elle ferait au cours du change est « mangée » par le coût de paiement de l’option.

Bref, les marchés à terme servent aux gens qui font du commerce à un terme plus ou moins lointain à se protéger contre les risques de fluctuation défavorable d’un cours. Ce sont donc, primitivement, des outils d’amortissement de la volatilité et non l’inverse.

Je passe sur tous les mécanismes mis en place par les market makers et les courtiers pour assurer à la fois la liquidité des options d’achat et de vente, et la solvabilité des participants, moyens que je ne connais moi même que très superficiellement (Samuel Rondot est intarissable sur le sujet). Ces opérations sont essentielles car évidemment, les besoins de couverture des uns ne sont pas ceux des autres, mais l’organisateur des échanges doit s’arranger toutes les options, gagnantes comme perdantes, puissent être honorées.

Bref, les premiers spéculateurs sont d’abord des « spéculateurs prudentiels ».

« Certes« , me direz vous, « mais sur les marchés, à ces bons spéculateurs prudentiels, viennent se greffer, en nombre souvent supérieur, de simples spéculateurs-parieurs. Ne sont-ce pas, eux, des mauvais spéculateurs, de vrais parasites de l’économie réelle«  ?

Lire la suite de l’article.

Sur le web

« En défense des spéculateurs« , Jean-Yves Naudet, sur Catallaxia


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