Que l’auteur des tueries soit d’extrême droite ou islamiste fondamentaliste,
le diagnostic reste le même : la montée des intolérances a rendu possible dans la tête d’un des nôtres l’assassinat d’enfants à bout portant. Tous les responsables politiques doivent être
les acteurs d’une unité de la nation à renouveler. Les procès en récupération n’ont aucun sens : parler, se taire, être présents, être absents, les personnages publics seront toujours
critiqués : au moins, qu’ils prennent leurs responsabilités en ces temps troublés et qu’ils sachent dépasser la légitime émotion !
Les tueries horribles
de Toulouse et de Montauban n’en finissent pas de perturber la campagne présidentielle. Avec un événement de poids ce 21 mars 2012, l’identification de l’auteur de ces sept lâches
assassinats.
Le profil de l’auteur présumé (il n’est pas encore jugé et à cette heure, pas encore arrêté, peut-être même
ne sera-t-il plus en vie dans les prochaines heures) n’est pas un néonazi mais un islamiste radical autodidacte qui est allé à ses frais suivre des cours de massacre en Afghanistan et au Pakistan
avant de rentrer à Toulouse et de préparer ses attentats au fusil.
Certains y voient alors la disqualification des propos
prononcés dès le soir de l’assassinat des enfants par François Bayrou à Grenoble. Pourtant, j’aurais tendance à dire : et alors ?
Qu’est-ce que cela peut bien faire que l’auteur de ces tragédies soit un néonazi ou un islamiste ? Qu’il soit prêt à tuer des Juifs, des musulmans, des soldats, des enfants, des enseignants,
des fonctionnaires (il s’apprêtait à tuer trois autres personnes encore, scrupuleusement identifiées), et qu’il soit passé à l’acte, c’est cela le grave problème. Les prétextes importent peu,
finalement. C’est d'ailleurs étrange (et regrettable) que la manifestation de dimanche prochain ait été supprimée sous prétexte que l’auteur ne soit pas issu de l’extrême droite mais de
l’extrémisme islamiste. La fraternité doit rester universelle.
Il ne s’agit pas d’un représentant d’une puissance étrangère venu faire des tentatives de déstabilisation
politique en France. Non, il s’agit simplement d’un Français de 23 ans qui, par une conjonction de raisons, est devenu un assassin complètement inimaginable. Ce n’est pas normal qu’un Français ne
se sentent plus français en France. Pas normal qu’il n’y voit plus que des ennemis de ses idées, des ennemis à abattre dans la plus grande froideur.
Les divisions sont dans tous les sens : antisémitisme, islamophobie, xénophobie, racisme, homophobie,
etc. Tout ce qui dresse des "communautés" les unes contre les autres sont des germes d’attentat comme à Toulouse et Montauban.
C’est pourquoi le discours de François Bayrou tenu à Grenoble le 19 mars 2012 reste toujours aussi pertinent,
bien au contraire, s’en trouve même renforcé. Il l’a tenu avec beaucoup de tact, de finesse, de pudeur, sans justement la volonté de récupération. Sans cette volonté de vouloir tout ramener à
soi. Ce discours fait de réflexions à voix haute, a été salué par tous les représentants des communautés religieuses. Il est même du bon sens.
Il a choisi de poursuivre sa campagne électorale. Certes, l’émotion légitime a entraîné la compassion de la
plupart des candidats (François Bayrou était présent lors de l’hommage des militaires à Montauban le 21 mars 2012 après-midi), mais pour autant, faut-il stopper un processus démocratique alors
que l’élection présidentielle a lieu dans tout juste un mois ?
En somme, ceux qui ont voulu suspendre leur campagne, ce sont ceux qui pourraient avoir le moins à dire, qui
n’auraient pas intérêt à parler, qui préféreraient les postures aux réflexions. Il y a une vraie hypocrisie dans cette position de refuser de faire campagne : les Français ont soif de ces
rendez-vous démocratiques, ils sont déjà peu nombreux, il ne faut pas le leur voler. Il ne faut pas se laisser envahir par un homme qui s’est réjoui de mettre la France à genoux. En fait de
France, ce sont les médias qui se sont mis à genoux. Pas la France.
François Bayrou avait surtout pointé du doigt, à Grenoble, la responsabilité collective de la société, de ce
penchant à vouloir stigmatiser la personne différente, en religion, en origine, en culture, en oubliant ce qui nous unit, nous Français. François Bayrou a justement décrit le rôle que devraient
tenir les responsables publics, celui de réduire les divisions, celui d’aplanir les aspérités, celui de rassembler vers ce qui unit et pas vers ce qui divise.
En ce sens, le Président Nicolas Sarkozy a été à la hauteur de cette tâche de rassembleur (disons-le), il a gardé cet esprit d’unité nationale depuis lundi, il s’est bien gardé de faire du triomphalisme à la
suite de l’excellent travail des forces de l’ordre. La conférence de presse des procureurs généraux de Paris et de Toulouse faite le 21 mars 2012 dans l’après-midi a même montré l’efficacité de
tous les services judiciaires et policiers et leur bonne coordination. Il faut saluer cette efficacité car trois autres personnes étaient déjà inscrites sur la liste de l’assassin.
Le Président de la République a même tenu à aller serrer la main à ses concurrents du premier tour venus se
recueillir avec lui : Eva Joly, Marine Le Pen, François Bayrou, Nicolas Dupont-Aignan et François Hollande.
Nicolas Sarkozy a insisté également pour ne pas faire d’amalgame entre cet individu dangereux qui a voulu
s’en prendre cruellement à sept innocents, dont trois enfants, sous prétexte islamiste, et la grande majorité des musulmans qui n’aspirent qu’à la paix.
Le journal "Libération"
a bien noté cette émotion et cette dignité présidentielles et Nicolas Demorand conclut : « Que certains mots, certains discours disparaissent définitivement de la vie publique. Que
la réponse politique à l’inquiétude de sociétés en crise garde de la hauteur et refuse le poison de la surenchère populiste. Qu’au geste assassin d’un fou endoctriné soit opposée avec
détermination la sereine puissance de la démocratie. ».
C’est cette tension de presque guerre civile qui règne depuis plusieurs années en France qui fabrique dans
des cerveaux faibles et influençables cette stupide volonté d’anéantir des supposés représentants de supposées forces du mal. Elle est souvent alimentée par des conflits complètement extérieurs à
la France, comme le conflit israélo-palestinien. L’auteur présumé a affirmé qu’il avait commis ces assassinats pour venger les enfants palestiniens : honte à lui d’avoir souillé leur
mémoire ! Les représentants de l’Autorité palestinienne ont au contraire condamné avec la plus grande clarté ces assassinats d’enfants juifs.
Cette tension dans la société, elle existe même derrière les écrans, il suffit de lire en dessous de nombreux
articles un peu partout sur le web, dans la presse, des réactions complètement ahurissantes de haine et de détestation plus de soi que des autres. Est-ce le résultat d’une plus grande oisiveté,
rendue obligatoire avec la crise économique ? d’une jalousie ? d’un repli sur soi ? ou encore, d’un trop grand manque de confiance dans sa propre identité ?
C’était le message, le seul message de François Bayrou à Grenoble, pas de dire : "j’ai eu raison, je
prône l’unité nationale et vous voyez bien qu’elle est nécessaire". Mais plutôt, de dire : la France vit en pleines tensions, politiques, économiques, sociales, morales. Il faut être capable
de se réunir, en finir avec les guerres politiciennes qui oublient l’essentiel, les valeurs communes de la grande majorité des Français.
Dans la soirée du 21 mars 2012, François Bayrou est allé à la rencontre des Français à Nancy où il a souhaité
que les candidats « se souviennent des événements que nous avons traversés et qu’ils en tirent la détermination que le ton et le fond de la campagne
électorale changent ». C’est un peu ce que disait François Hollande le 20 mars 2012 en disant
qu’il n’oublierait jamais ces assassinats s’il était élu.
Au fond, François Bayrou ne relâche pas son intuition qui ne date pas de ces tragiques événements mais de
plus d’une décennie : « J’ai la certitude qu’aucun des problèmes ne pourra trouver de réponse si nous continuons dans la politique ordinaire,
classique, dans les affrontements politiques que nous suivons depuis des années. ».
François Bayrou l'avait aussi exprimé le matin du 21 mars 2012 sur France Info : « La radicalité dans laquelle sombre peu à peu la société française est préoccupante. (...) Je récuse
toute mise en cause, mais je dis que nous avons devant nous une société malade. Il y a des germes explosifs et une dégradation latente. Cela appelle à une unité nationale. ».
Curieusement, ceux qui ont voulu à la fois respecter la mémoire des victimes mais aussi les Français en
poursuivant le dialogue avec eux, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon, ce sont les deux candidats les plus populaires dans le dernier sondage IFOP pour "Paris Match" (réalisé avant la tuerie de Toulouse). Le premier a grimpé à 70% de bonnes opinions tandis que le second a dépassé François
Hollande avec 57%. Les deux seraient d'ailleurs au même niveau dans un autre sondage (CSA).
Et après tout, ce qui serait le plus signifiant dans le clivage actuel de la société, un second tour Bayrou
contre Mélenchon serait probablement le plus pertinent. S’ils ont ensemble les mêmes valeurs de laïcité et de refus de stigmatisation de quelque "communauté" que ce soit, ils ont de réelles
oppositions sur les remèdes à proposer aux Français pour résoudre la crise économique. Le débat ne serait alors pas pollué par une dispute de postures mais par un véritable choc des idées.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (22 mars
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Tuerie de Toulouse : Bayrou est-il ignoble ?
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/decomposition-de-notre-vivre-113057