On pourrait citer dans ces rangs rebelles, Charles Pennequin, d’ailleurs ami proche de Bertin, ou encore François Richard, Sylvain Courtoux… Je pense aussi, même si la comparaison peut paraître « déplacée », aux poètes de la beat generation. Mais le travail de Jérôme Bertin, loin de tout mimétisme facile, garde son entière singularité. Après s’être essayé à la prose poétique dans ses précédents ouvrages, il utilise ici le vers libre. Fragments du carnage se présente comme une suite de vers éclatés – des bris de vers – qui s’apparentent à des collages comportant des phrases entre guillemets dont on ignore si elles sont prélevées ailleurs ou écrites par l’auteur.
D’autres apparaissent en gras, sentences à connotation philosophique : nous devons considérer la vie comme un mensonge continuel (…) l’être la vie la liberté ne sont que des inventions de jean-foutre (…) la création fut le premier acte de sabotage (…) parler c’est mentir vivre c’est collaborer. Les fragments de Jérôme Bertin s’inscrivent, c’est lui qui le souligne, dans « la perspective de développement d’une para-poésie ». Ils baignent dans un univers chaotique où sexe, drogue, crime occupent les premières loges. On y retrouve des acteurs du grand et du petit écran : James Dean, Brad Pitt, Nikos Aliagas, Léon Zitrone, Guy Lux… D’autres célébrités, capitaine Flamme, les spice girls, Goering, Mike Brant, E.T., le docteur Q kung-fu, Sarkozy, Royal… Autant de participants à un carnage impitoyable, énoncé avec une rare dureté : Rendez-vous à la case génocide (…) Fusillez-vous les uns les autres (…) Citoyens de la zone néant, révoltez-vous (…) Souriez vous êtes baisés (…) Les plaies du christ crachent de la merde.
Jérôme Bertin écrit d’une encre mélangée de sperme, de sang, de vaseline et de nutella. Les issues sont condamnées. L’apocalypse est au travail : le monde moderne trouve ici sa fin. En parfaite osmose avec ce texte, quatre dessins d’Anne Van der Linden viennent parachever le désastre. Je voudrais, passé le fond, revenir sur la forme de cet ensemble particulièrement compact, malgré sa construction en pièces fragmentaires.
En abandonnant la prose, Jérôme Bertin n’en demeure pas moins narratif, utilisant une expression des plus « crues » qui prend le lecteur à partie dans son corps même. À souligner aussi, son usage répété, par une astuce typographique, de « mots doubles », comme par exemple l’emballage lat/ s exe, le doigt sur la g/ m achette, danse mac/ s abre. Fragments du carnage secoue cruellement nos habitudes de sages lecteurs de poésie. C’est là toute sa force.
Contribution Alain Helissen
Jérôme Bertin, Fragments du carnage, collection Vents Contraires, Voix éditions/Richard Meier