Stop ! arrêtez tout et voyez cet extrait. Mieux, regardez le film.
Ça s’appelle Pourquoi tu pleures ? et c’est un premier film de Katia Lewkowicz. Les acteurs sont formidables : Benjamin Biolay (le fiancé du cinéma français), Emmanuelle Devos (qui y développe un talent comique qu’on lui avait déjà reconnu précédemment), Nicole Garcia (je vais y revenir), Valérie Donzelli, Sarah Adler (très belle découverte), et Éric Lartigau (hilarant).
Le héros (le mot est particulièrement mal choisi ici : car Benjamin Biolay endosse avec aisance le rôle d’un jeune homme particulièrement mou qui a l’air de tout subir et de ne rien décider) est donc un futur marié, qui va se retrouver, quelques jours avant sa noce, face à des situations inhabituelles. Le vertige de cet engagement de toute une vie, de cet engagement d’adulte est incarné de façon moderne par Benjamin Biolay qui passe les premières répliques à répéter “Putain” devant tous les événements qui s’enchaînent, manifestement sans qu’il ne saisisse leur portée. Il se laisse glisser, mollement, en râlant vaguement, d’obligations en rendez-vous, sans jamais avoir l’air de savoir ce qu’il fait là, mais sans jamais vraiment s’en aller non plus. Il semble avoir du mal à être acteur de sa propre vie, il semble avoir du mal à décider de ce qu’il veut. Le comique de caractère est renforcé par la rencontre avec sa future belle-famille qui arrive en masse, de confession juive, avec laquelle il a du mal à communiquer en raison de leur langue, et qui le désarçonne par son unité et la force centrifugeuse de ses traditions qui émane d’elle.
Il a du mal à devenir adulte. En témoigne son groupe de potes, pas franchement matures, et ses relations avec sa soeur et sa mère. C’est l’extrait que j’ai choisi, même si la bande-annonce est carrément réussie. Sa soeur mène tambour battant une existence bancale ; on comprend vite qu’elle adore son frère, mais le déteste d’être aussi clairement le chéri de sa mère. Et cette mère, remarquablement interprétée par Nicole Garcia qui s’amuse à être sentimentale et complètement névrosée, couve son fils et ses souvenirs douloureux. C’est un personnage extrêmement attachant. Elle agresse et câline ceux qu’elle aime dans un même mouvement ; les épuise de paroles pour les retenir ; tourbillonne joyeusement autour de ses troupes à la recherche de témoignages d’affection, tout en ratant ceux qu’elle pourrait donner. Elle est formidable. On l’aime. Elle est familière. Elle joue comme elle respire.
Ce film, signé Katia Lewkowski, est une petite merveille de justesse, de drôlerie ce qui ne l’empêche pas de parsemer son récit de questions diablement importantes : qu’est-ce que devenir adulte ? Comment sait-on que l’on aime vraiment ? Faut-il être sage ? Quelle distance entretenir avec sa famille ? Avec les morts ?
J’attends avec impatience la suite du travail de cette nouvelle cinéaste.