Il était une fois un petit garçon pas comme les autres, un petit garçon qui ne voyait pas l'intérêt que pouvaient trouver ses camarades à taper toute la journée dans un ballon avec leurs pieds ou à se cogner les uns les autres pour impressionner des filles qui faisaient mine de s'en moquer. À la place, celui-ci préférait s'évader dans ses pensées, rêvant de mondes mystérieux et étrangers, de monstres gigantesques à terrasser et de belles princesses à délivrer. En classe, il passait alors son temps à dessiner tout ce qu'il pouvait imaginer et à reproduire ce qu'il avait parfois vu à la télé, comme les personnages de ses dessins-animés préférés et les créatures effrayantes de ces films que ses parents lui interdisaient de regarder. Mais en grandissant, le petit garçon arrêta progressivement ses escapades en dehors de la réalité et gribouilla de moins en moins dans les coins de ses cahiers, ses esquisses ne devenant plus que les furtifs reflets d'images tremblantes aux contours à présent effacés, les dernières cendres froides d'un univers presque entièrement calciné. Jusqu'au jour où le petit garçon s'en fut définitivement allé, laissant sa place à un homme n'ayant plus vraiment le temps de rêver. Mais cet homme n'a pas pour autant tout oublié, et si certains de ses semblables sont aujourd'hui profondément et irrévocablement blasés, il conserve de son côté une part de l'enfant qu'il était, telle une mince flamme ne demandant qu'à être ravivée...
"Oh, c'est quoi cette intro pourrie ? Tu parles de mon film ou quoi ?"
C'est alors que John Carter est arrivé ! Soufflant à pleins poumons sur un brasier encore ardent, balayant d'un vent violent la fumée noire qui enveloppait insidieusement son cœur asphyxié, le film d'Andrew Stanton (réalisateur de WALL-E et scénariste des Toy Story, entre autres choses) a subitement ranimé l'âme d'enfant qui sommeillait dans le regard de cet homme égaré. Les mondes mystérieux, les monstres gigantesques et les belles princesses de ses rêves d'autrefois étaient à nouveau là, dansant devant ses yeux émerveillés dans un balai parfaitement orchestré. Des vaisseaux "naviguant sur la lumière", des tribus extraterrestres aux mœurs guerrières, des bêtes féroces et étonnantes, un conflit ancestral entre "hommes rouges" sur le point de s'achever dans une mare de sang bleu, une technologie secrète impressionnante, une déesse sacrée et ses énigmatiques messagers, mais aussi et surtout un amour pur dont la recherche et la sauvegarde nous apparaissent comme les seules causes qui méritent d'exister : bienvenue sur Mars ! Ou devrais-je plutôt dire : bienvenue sur "Barsoom" !
"Yo, mec ! T'as pas une clope ?"
Adapté d'un roman d’Edgar Rice Burroughs (la papa de Tarzan), Une princesse de Mars, premier tome du Cycle de Mars, œuvre fondamentale de la littérature de science-fiction, John Carter est un vrai film classique, dans tous les sens du terme. Passant derrière des métrages ayant fortement été influencés par son matériau d'origine (la saga Star Wars en tête), l'excursion du capitaine John Carter sur la Planète Rouge peut ainsi paradoxalement, pour les spectateurs non-avertis, sembler recycler après coup des éléments depuis maintes fois vus et revus dans le genre pourtant trop rare du space opera. Mais il serait mentir de dire que ce manque d'originalité (forcé par l'inévitable écoulement du temps) porte un grand préjudice à cette nouvelle/ancienne épopée, la dénuant de la sorte de tout intérêt, comme trop de critiques auraient tendance à rapidement en juger. Car si l'amalgame entre "classique" et "convenu" est devenu un consensus stupidement approuvé par une majeure partie de la presse spécialisée (parfois plus encline à s'auto-congratuler sur sa "branchitude" auto-proclamée qu'à essayer de voir et d'aimer les films pour ce qu'ils sont vraiment), tout spectateur honnête et portant un regard aussi ouvert qu'avisé sur l'histoire qui lui est ici présentée ne pourra alors légitimement lui reprocher l'indéniable classicisme dont elle fait preuve avec humilité. Quant à ceux qui auraient gardé ne serait-ce qu'un bout d'orteil en enfance, comme notre petit garçon en introduction, ils n’excuseront pas seulement avec une profonde clémence le caractère classique de ce long-métrage, mais iront jusqu'à apprécier celui-ci à sa juste valeur, se satisfaisant pleinement de sa présence rassurante, tels des bras forts et tendres encerclant amoureusement un film au charme par là même aussi daté qu'actuel, c'est-à-dire intemporel.
"Quoi, t'aimes pas ma tronche ?! Tu sais ce qu'il te dit le "classique" ?!"
S'il est vrai que le manque d'originalité est souvent l'apanage de pratiques peu scrupuleuses visant une simple économie de moyens et/ou méprisant ouvertement les spectateurs selon le principe ordurier du (excusez mes mots) "donnons-leur la merde qu'ils ont envie de bouffer", il serait néanmoins hasardeux de transformer cette tendance en principe absolu et de jeter aveuglément toutes formes de classicisme dans le même panier. Il est bien heureusement des œuvres d'inspiration classique dont l'intention est, au contraire, on ne peut plus honorable : faire respectueusement référence à des pièces maîtresses antérieures (les premiers et véritables "classiques", dont les romans de Burroughs font indéniablement partie), en partageant la vision positive et juste que ce qui est passé n'est pas forcément dépassé pour autant. Et avec sa réalisation aussi académique que dynamique, sa passion évidente pour une science-fiction de qualité (que son dernier long-métrage d'animation aux studios Pixar prouvait déjà avec virtuosité) et sa déférence envers une histoire qu'il se préserve de dénaturer, Andrew Stanton est clairement dans une démarche résultant de cette deuxième catégorie de classicisme. Ici, la conventionnalité de la mise en images et du déroulement du récit ne sont définitivement pas les conséquences d'un manque d'investissement ou de prise de risque de la part du réalisateur, mais bien le résultat direct de sa profonde estime pour l’œuvre d'origine, dont l'aspect classique n'avait aucun intérêt à être atténué (auquel cas, pourquoi d'ailleurs l'adapter ?) et se devait au contraire d'être ouvertement assumé, voire glorifié.
"Bon, comme t'es un peu lent, j'ai fait un dessin. Tu piges maintenant ?"
En exemple concret de cette considération permanente pour l’œuvre d'origine, et donc de tout un genre littéraire et cinématographique (si ce n'est de toute une époque), on peut citer cette courte réplique de Carter, lorsque celui-ci apprend que du sang royal coule dans les veines de la belle Dejah Thoris (qu'il a précédemment sauvée in extremis dans une scène d'action à l’héroïsme grandiose) : "Une princesse de Mars, voyez-vous ça ?", lance-t-il d'un ton mêlant à la fois un sincère ravissement et un détachement complice avec son audience invisible, de l'autre côté de l'écran. Oui, une superbe princesse martienne ! Cela peut sembler quelque peu ridicule pour notre époque désabusée, nous poussant ainsi malgré nous à esquisser un léger rictus à moitié contrôlé, mais c'est aussi une image totalement fantastique et merveilleuse, nous renvoyant à tous ces rêves que nous faisions naïvement étant enfants (enfin, pour les garçons, les filles devaient sûrement quant à elles rêver de princes vénusiens). Et après deux heures et vingt minutes d'aventure passionnante et époustouflante, nos coins de lèvres parfois précédemment se transformeront alors en une unique bouche ronde d'ébahissement, ne laissant plus aucune place à un quelconque cynisme et finissant une bonne fois pour toute de nous emporter dans ce fabuleux rêve éveillé, sous le soleil brûlant et aveuglant d'une planète Mars aux allures de joyeuse cour de récréation.
"Salut, poupée... T'as du feu ?"
Ayant déjà écrit trop de lignes pour un simple article de blog
"Help ! Les critiques veulent me bouffer !"
Pour résumer : il faut prendre chaque film pour ce qu'il est. Et en tant que film de science-fiction classique, tant dans le fond que dans la forme, faisant la part belle au divertissement et à la célébration des émotions les plus nobles (aussi niaises puissent-elles paraître à certains esprits trop "branchés"), John Carter est rien de moins qu'une sacrée réussite, si ce n'est la perfection même pour les enfants en mal d'aventure que nous resterons à jamais ! Véritable bouffée d'air frais dont une seule respiration suffit à nous rappeler toute une foule d'heureux événements passés, telle l'odeur du "gâteau de maman" fraîchement préparé, John Carter est tout simplement l'une des plus délicieuses madeleines de Proust qu'il m'ait été donné l'occasion de dévorer : IT'S A KICK-ASS MOVIE, BABY !
"Faut que tu mates ça, mec, ça déchire !"
Titre original : John CarterRéalisé par : Andrew StantonDate de sortie française : 7 mars 2012