Avec nos appareils photos numériques ou nos Iphone (l’engin qui prend la plus de photos au monde !), nous nous prenons tous un peu pour Doisneau ou Cartier-Bresson. Pourtant, les vrais artistes, ceux qui posent un regard original sur le monde, ne sont pas si nombreux.
A Toulouse, il existe une galerie qui depuis presque 40 ans expose les grands talents photographiques d’hier et de demain. Cette galerie c’est Le Château d’Eau et c’est la plus ancienne galerie publique exclusivement consacrée à la photographie en France.
Jean-Marc Lacabe est le directeur du Château d’eau. Depuis dix ans qu’il fait des choix artistiques audacieux dans ses programmations. Je le connais bien et j’admire beaucoup son approche à la fois sensible et érudite de la photo. J’en ai profité pour lui poser quelques questions. Histoire de savoir, à l’heure où nous nous improvisons tous photographe, comment on défend la photographie d’art.
Paulette : Peux-tu me dire en quoi consiste ton travail au Château d’Eau ?
Jean-Marc : Je suis chargé de faire vivre la galerie par une programmation qui s’articule en 6 périodes dans l’année. Il peut s’agir du travail d’un photographe déjà reconnu comme Anders Petersen, une exposition thématique. Ou bien encore d’expositions de jeunes talents que nous aidons en leur offrant une première visibilité.
Paulette : Quelles sont les missions du Château d’eau ?
Jean-Marc : À chaque fois, nous essayons de varier les propositions plastiques et visuelles.
Je considère que le travail d’un établissement public comme le Château d’Eau est avant tout pédagogique. Les expositions programmées, comme nos actions culturelles ont pour objet d’éduquer le regard des publics et d’accompagner chacun pour qu’il forme son propre jugement.
Derrière ce travail, il y a aussi l’idée que la beauté doit être accessible à tous.
Paulette : Comment fais-tu pour choisir un photographe ?
Jean-Marc : J’utilise mon intuition ! Qui ne m’a pas trop trompée jusqu’à présent. Et puis, je ne m’attache pas principalement aux sujets photographiés. Je cherche à comprendre ce que ce l’auteur me dit de lui-même et de sa sensibilité.
Ce qui est important pour moi c’est la sincérité et l’exigence du photographe qui fondent la singularité de son travail et la pertinence de son apport à l’histoire des formes.
Paulette : Peux-tu me parler de quelques jeunes artistes dont tu as exposé le travail ?
Jean-Marc : Parmi les jeunes artistes dont la première exposition a eu lieu au Château d’Eau et dont le nom commence à être connu, on peut citer, Mohamed Bourouissa ou Olivier Metzger. Je suis heureux aussi d’avoir organisé en 2010 la seule exposition en France du travail de Vivianne Sassen, une artiste hollandaise que j’aime beaucoup. Je suis très fier de l’avoir exposée un an avant son repérage par le MoMa à New-York, dans le cadre du programme sur les jeunes photographes mis en place par ce musée.
Paulette : Quels sont les autres photographes qui t’ont marqué ?
Jean-Marc : Il y en a beaucoup ! Mais celui qui me vient tout de suite à l’esprit c’est Walker Evans, un photographe américain du début du XXe siècle.
Il a posé un regard ouvert et libre sur le monde, acceptant dans son cadre, des éléments qui généralement étaient considérés comme laids ou inutiles. Les poteaux télégraphiques, par exemple ou les panneaux publicitaires. Il a théorisé l’idée que le style documentaire était une voie vers l’art. Il a marqué un tournant dans l’histoire de l’art.
Paulette : Donc, pour toi, une bonne photo c’est un photo singulière ?
Jean-Marc : J’ai envie de répondre nécessairement, mais une bonne photographie, c’est difficile à définir.
Ce qu’on peut dire, c’est qu’entre une bonne image et une image ratée, il n’y a pas l’épaisseur d’un papier à cigarettes ! De nombreux paramètres entre en ligne de compte pour considérer une photographie en tant qu’œuvre ou l’écarter comme objet sans qualité. Mais le principal est la cohérence entre plusieurs pièces d’un même auteur. C’est pourquoi il est bien utile de voir un ensemble de photographies du même artiste pour faire son jugement.
Paulette : La photo et Toulouse ont des liens étroits, comment l’expliques-tu ?
Jean-Marc : Dès ses débuts, la photographie a eu des attaches non négligeables avec Toulouse. On y a écrit et édité à la fin du XIXe siècle la première encyclopédie consacrée à la photo. On y a aussi organisé les premiers cours à l’université à l’initiative du professeur Fabre. La Société de photographie de Toulouse fut la troisième créée, après Londres et Paris. Cet engouement n’a pas faibli au fil du temps. Aujourd’hui la photographie est enseignée à de nombreux niveaux dans plusieurs établissements.
Paulette : Quelle est ton ambition pour le Château d’Eau ?
Le Château d’Eau contribue depuis 38 ans à l’identité culturelle de Toulouse.
C’est pourquoi, j’estime qu’il y a une vraie légitimité à souhaiter que cette ville se dote d’un pôle photographique digne de ce nom. Le bâtiment dont nous disposons actuellement est charmant, mais il faudrait disposer d’un lieu plus grand avec des espaces de travail et de conservation adaptés à la collection, qui est à l’étroit maintenant.
Enfin, ce lieu rêvé devrait pouvoir se déployer dans la ville par un temps fort annuel, autour d’une thématique, avec des moments de réflexion et des moments plus festifs.
Paulette : La photographie a-t-elle encore un bel avenir devant elle ?
Jean-Marc : Aujourd’hui c’est incroyable : il y a de plus en plus de photos. Le numérique a libéré la pratique du côté fastidieux que nous connaissions autrefois.
C’est bien et en même temps nous sommes saturés d’images. Les gens ont besoin de pouvoir décoder et comprendre le langage de l’image. Les lieux de diffusion comme le Château d’Eau y contribuent. C’est pourquoi je reste vigilant, exigeant, et que je continue à chercher des artistes qui ont un « regard » différent. Un regard qui nous ouvre les yeux sur le monde.
Le Château d’eau 1 place Lagane à Toulouse
http://www.galeriechateaudeau.org/