Le président sortant sénégalais pourrait connaître la même mésaventure qu'Abdou Diouf, faute de voix en réserve pour le second tour de la présidentielle, dimanche.
Manifestation de soutien à Macky Sall, samedi, à Ziguinchor. Crédits photo : SEYLLOU/AFP
Dakar, noyée dans les premières chaleurs, est retournée à son quotidien. Les embouteillages, les petits marchands qui encombrent les rues et les femmes qui se pressent sur les trottoirs défoncés. Comme si l'élection était déjà loin. Il n'y a que quelques affiches, à de rares grands carrefours, pour rappeler que le deuxième tour du scrutin est encore à venir, dimanche. En fin politique, le président sortant Abdoulaye Wade sait que cette dynamique molle pourrait bien lui coûter le troisième mandat auquel il aspire. «Wade, il a déjà perdu. Son score, il est trop petit», assure Abdou Sagna, un marchand qui résume en une phrase la vox populi dakaroise. Les politologues sénégalais ont donné un nom à ce sentiment: le syndrome Abdou Diouf.
En 2000, Abdou Diouf, aujourd'hui secrétaire général à la Francophonie, se représentait à la présidentielle. Après un premier tour honorable, avec 41,51% des voix, il affichait au second un score parfaitement identique. S'engageait alors une alternance historique qui mettait fin à l'hégémonie du Parti socialiste, au pouvoir sans discontinuer depuis l'indépendance.
Douze ans plus tard, le vainqueur d'alors, Abdoulaye Wade, pourrait bien se trouver dans la même fâcheuse position, faute de réserve de voix. Au soir du 26 février, le «Vieux» comme le surnomment les Sénégalais était gratifié de 34,82% des suffrages, contre 26,57% à son rival Macky Sall. Mais depuis, ce dernier a accumulé les soutiens. Tous les candidats battus ont rejoint sa bannière, formant une coalition très anti-Wade.
Une union qui n'a pas surpris. Lassés par un Abdoulaye Wade à l'exercice très personnel et parfois brutal du pouvoir, les leaders politiques ont fait de la chute du président sortant un objectif prioritaire, au point d'oublier un temps leurs querelles personnelles ou leurs différends idéologiques.
Le premier ralliement fut aussi le plus symbolique. Arrivé troisième, Moustapha Niasse (13,20%) annonçait qu'il voterait Sall dès l'annonce des résultats. Or, selon les analystes sénégalais, c'est ce même Niasse qui, en épaulant Wade en 2000, avait précipité la chute de Diouf. Macky Sall, le libéral, est aussi soutenu par le socialiste Ousman Tanor Dieng et par le frère ennemi, comme lui ex-dauphin d'Abdoulaye Wade, Idrissa Seck.
À cette union, les fidèles d'Abdoulaye Wade savent qu'ils doivent ajouter nombre d'acteurs de la société civile. Le M23, un mouvement né de la lutte contre la candidature de Wade, qui regroupe des partis politiques et des associations, s'est immédiatement allié à «Macky». «Un troisième mandat de Wade serait illégitime et anticonstitutionnel. Il n'y a aucun doute pour nous qu'il faut soutenir dans les urnes celui qui peut s'y opposer», affirme Alioune Tine, le coordonnateur du M23.
Le président sortant compte sur les 48% d'abstentionnistes
Le mouvement des jeunes rappeurs de «Y'en a marre» a lui aussi apporté sa notoriété au challenger, même si plusieurs de ses leaders ne cachent pas leur méfiance à l'égard du monde politique.
Pour contrer ce front hétéroclite mais très large, le président sortant ne peut compter que sur la mobilisation des quelque 48% d'abstentionnistes et sur son flair. Depuis trois semaines, Abdoulaye Wade s'est fait curieusement discret, se contentant de quelques sorties. Stratégie politique ou signe de fatigue d'un octogénaire trop épuisé pour faire campagne? «Le président a choisi de faire une campagne de proximité, du porte à porte. Il reçoit aussi beaucoup», détaille son porte-parole Amadou Sall. Chaque soir ou presque, les files de bus et de voitures des visiteurs nocturnes s'alignent devant le palais. «Wade tente de convaincre les “grands électeurs”, les chefs de villages de faire voter pour lui, parfois contre des promesses ou des aides plus directes. Il ne se veut pas encore battu», assure un observateur. L'opposition crie à l'achat de conscience tandis que les proches de Wade agitent certains marabouts célèbres pour éloigner le spectre du syndrome Diouf.