Romancière japonaise, la carrière de Wataya Risa commence très jeune. Ses deux romans, Install et Appel du pied sont édités en français chez Philippe Picquer.
Ils s'agit d’œuvres courtes, écrites dans un style simple et elliptique. Ils mettent en scène des adolescentes un peu perdues dans leur vie, pas très à l'aise avec les codes sociaux, distantes avec leur famille sans jamais être en rupture brutale. Des ado inadéquates. Wataya décrit avec talent et fraîcheur des révolutions douces, des mutations profondes cachées sous les hoquets d'un quotidien aux tendances marginales.
Lecture distrayante et intelligente
J'adore la littérature japonaise contemporaine. Si vous traîner souvent ici, ce n'est pas une révélation ! Et Wataya Risa fait partie de ces écrivains vagues, timides presque, dans leur prose, qu'on peut facilement ignorer. Encore un énième récit sur une ado et son mal être ?!
Non.
L'apparente légèreté des histoires de Wataya et la facilité de son style rend la lecture distrayante, rapide. Pourtant, quand on se pose pour réfléchir, que l'on connaît un peu la culture japonaise, on réalise la très grande justesse de son œuvre. Elle égratigne les apparences trop lisses pour injecter dans les plaies le doute, le refus des convenances, d'un carcan social en forme de "camisole de force" qui laisse une place minuscule à l'expression de l'individualité, à la sincérité.
Wataya Risa commence a écrire quand elle est encore prise dans la tourmente de l'adolescence et de ses ajustements souvent douloureux. Si on peut lui reprocher un manque de maturité dans l'écriture, sa jeunesse est aussi sa force. Pas de fioriture, pas de justification inutile des comportements, pas d'analyse. Elle livre les émotions, étouffées, complexes. Il n'y a rien à décoder. Les romans de Watasya sont si limpides qu'on si on ne se penche pas avec attention, leur profondeur nous échappe. On voit le fond, mais pas leur épaisseur.
Install : tout vider et pour reconstruire
Écrit à 17 ans, Install est le premier roman de Watya. Il raconte le coup de sang d'Asako qui vide littéralement sa chambre, décide d'en jeter le contenu et au passage, d'arrêter l'école. Elle est en dernière dernière année de lycée. Sous la pression des examens, elle disjoncte. Kazuyoshi son voisin de 12 ans, petit génie de l'informatique, s'approprie l'ordinateur mis au rebut.
Né alors une étrange amitié où Asako, pour occuper ses journées, aide Kazuoshi à gérer un site pornographique. Elle devient l'hôtesse sur son salon de discussion érotique en ligne.
Confronté aux mensonges, aux risques du monde virtuel mais aussi à la manne de connaissance et d'expérience qu'il propose, Asako grandit, abandonne ses peur et se réapproprie sa vie. Une parenthèse étrange, une fugue sans quitter la maison, qui donne à l'héroïne la force d'avancer, la force de choisir. Le sexe virtuel est abordé comme terrain de jeu et d'expérimentation pour se construire, pour grandir. Et bizarrement, il n'y a pas d'équivoque, pas d'excitation. Le projet, conduit avec grand sérieux, oscille entre le professionnel et le jeu. Ce sujet inconvenant est traité avec pudeur et innocence.
Au début du roman, Asako est en surmenage. A bout. Elle pète un câble et le fait sans se mettre en danger. L'action radicale et même drôle qui consiste à tout vider est étonnement saine et réfléchie. Après tout, faire régulièrement le vide, nettoyer, trier, sont des actes qui permettent d'avancer dans la vie sans être encombré par un passé trop lourd, paralysant.
Asako pousse la logique à son paroxysme, peut être parce que la pression des examens, de l'école, de la société, la aussi poussée au delà de ses limites. Et la voie choisie, hôtesse pour émoustiller les clients et augmenter leur temps de connexion donc l'argent gagné, est à la fois terriblement adulte par son sujet et terriblement enfantine dans son approche. Libératrice, inattendue, et saine.
Appel du pied : Frapper pour toucher
Ce second roman a été écrit à 19 ans et il a reçu le prestigieux prix Akutagawa. Encore une fois, Wataya explore les sentiments d'une adolescente qui ne veut pas rentrer dans le moule.
Arrivée au lycée, Hasegawa se met volontairement en retrait, n'appartient à aucun groupe. En classe, elle remarque que Ninagawa, un de ses camarades masculins, également en marge, lit une revue de mode féminine. Intriguée, elle tente d'engager la conversation. Elle lui apprend qu'elle a rencontré en vrai la mannequin dont il regarde la photo, Olichan. Ninagawa l'invite alors chez lui. Véritable otaku vouant un culte maladif à Olichan, son intérêt pour Hasegawa semble se limiter à son contact passé avec la célébrité. Vexée, la jeune fille méprise sa passion qu'elle trouve infantile. Pourtant une relation se tisse entre les deux ado, distante, ténue mais présente, importante.
Écrit du point de vu d'Hasegawa, le récit déforme les sentiments en fonction de la perception tronquée et très orientée de la jeune fille. Toujours sur ses gardes, elle ne cherche pas à s'intégrer dans la classe, juge sévèrement les relations entres les groupes d'ado, bref, ne fait aucun effort pour participer à la collectivité. Au contraire, par ses remarques, son comportements elle s'écarte.
Elle souffre de voir Kunyo, sa meilleur amie du collège, s'éloigner et s'accrocher à d'autres, dans un groupe.
Wataya ne parle pourtant par d'ostracisation façon ijimé, mais bien de l'inadéquation d'une ado qui a du mal à se reconnaître dans ses camarades, qui ne comprend plus comment fonctionnent les rapports humains. Hasegawa n'a pas envie de participer à ce qu'elle considère comme une farce, un théâtre. Elle s'accroche à la sincérité et l'innocence de l'enfance tout en reprochant amèrement à Ninagawa cette même attitude. Parce qu'il se passe quelque chose en elle qu'elle n'identifie pas, quelque chose qui déborde, qu'elle traduit avec violence. Avec un coup de pied rageur dans le dos.
Voici donc deux romans simples mais faussement légers, très représentatifs de la littérature féminine japonais actuelle. Tout en sensibilité et retenue, avec des éruptions brutales d'émotions qui, comme les rides à la surface d'un lac, raisonnent, s'entremêlent.
A l'occasion du Salon du livre de Paris, j'ai assisté à une conférence passionnante en présence de Wataya Risa et Agnès Giard. Un compte rendu de cette rencontre intitulée "Une jeunesse sans tabou ?" sera publié bientôt sur le blog !
Copyright : Marianne Ciaudo