« Face à la tragédie nationale que nous vivons, je suspends ma participation à la campagne présidentielle au moins jusqu'à mercredi.»Cette déclaration était un tweet de Nicolas Sarkozy. L'équipe de campagne nous avait prévenu. Quand il était signé NS, cela signifiait qu'il était de Nicolas Sarkozy lui-même.
Celui-là était signé NS.
Sarkozy se suspend, ou bien ?
Jean-Luc Mélenchon a exigé le droit à continuer à faire campagne. Il avait bien raison. Ne pouvait-on pas parler de retraites, salaires, précarité ou finances ? François Bayrou, dès lundi soir, s'est exprimé sur la violence du pays. Il avait bien raison. Ne pouvait-on pas parler de l'augmentation de l'insécurité ? François Hollande avait annulé un gros meeting et sa participation au « fun-washing » du Grand Journal de Canal+. C'était indispensable. Ne pouvait-on pas montrer de la simple émotion, une légitime solidarité avec toutes les communautés ?
Nicolas Sarkozy, lui, avait choisi de suspendre sa campagne. C'était son droit. Mardi, ses proches ont même laissé entendre qu'il prolongerait son interruption de campagne tant que le tueur ne serait pas arrêté. On croyait rêver. Certains ont cru, à tort, qu'il s'imposait deux ou trois jours de recueillement solidaire et presque solitaire. Il n'en fut rien. Bien au contraire.
Nicolas Sarkozy voulait simplement que l'on s'abstienne de parler de son bilan et de son projet. Et il pu se montrer matin, midi et soir sur toutes les antennes, toutes les radios, devant tous les photographes. L'homme qui clamait l'indispensable retenue ne se l'appliquait pas, bien au contraire.
Il y eut d'abord cette annonce, à Toulouse, lundi après-midi depuis les lieux du drame, qu'une minute de silence serait imposée à 11 heures du matin dans tous les établissements scolaires de France en hommage aux victimes. Pourquoi pas ? Mais ce n'était pas tout. Nous ne savions pas que le Monarque avait décidé d'emmener des caméras jusque dans la classe qu'il visiterait, le lendemain, à l'heure dite.
La video, bien sûr, fut postée sur Elysee.fr. C'était la première du jour. Sarkozy, sur le perron d'une école traumatisée, c'était normal. Dont acte.
Il y eut ensuite cette intervention depuis l'Elysée. Sarkozy était ému, il avait rencontré des proches des victimes du matin. Sarkozy sait être émouvant quand il est ému. Mais il perd alors systématiquement le contrôle de ses actes.
La video, bien sûr, fut postée sur Elysee.fr. C'était la seconde du jour. En avions-nous besoin ? Arno Klarsfeld, l'un des protégés de Nicolas Sarkozy depuis 2007, confia à la journaliste Nadège Puljak (AFP) « c'est la 1e fois depuis le Moyen Age qu'on tue des enfants juifs sur le sol français ». Il avait oublié que des soldats avaient aussi tué ces derniers jours.
Il y eut enfin la cérémonie religieuse de lundi soir dans une synagogue à Paris. Le candidat sortant était arrivé le dernier, et mais partit le premier. Là, c'était honteux. Les videos furent nombreuses, partout dans les médias.
Mardi matin, Sarkozy envoya Alain Juppé accompagner les cercueils des 4 tués de Toulouse jusqu'en Israël où ils seront inhumés.
Il fallait qu'il parle.
Nicolas Sarkozy se rendit dans un collège parisien du 4ème arrondissement. Il se faisait donc filmé pendant la minute de silence exigée. Dans la cour, les images étaient encore dgne. Dans une classe, Sarkozy dérapa devant des élèves. Les caméras étaient encore évidemment là: « ça s’est passé à Toulouse, dans une école confessionnelle, avec des enfants de famille juive, mais ça aurait pu se passer ici. Il y aurait pu avoir le même assassin. Ces enfants sont exactement comme vous. La victime n’y est pour rien (…). Ces enfants avaient trois ans, six ans et huit ans, et l'assassin s'est acharné sur une petite fille, il faut réfléchir à ça.» Nicolas Sarkozy savait-il qu'on ne parle pas comme cela, sans prévenir et sans filet, à des enfants ?
La video, bien sûr, fut postée sur Elysee.fr. C'était la troisième depuis 24 heures.
Puis, dans une classe de troisième, il y avait encore des caméras pour l'entendre dialoguer « à l'improviste » avec les élèves. La conversation fut tout aussi improbable. Un échange devant des journalistes et des caméras, encore une fois. Une convivialité indécente que Nicolas Sarkozy utilisait pour son seul profit électoral. Il donnait des leçons de police et de morale. Aux enfants présents, il livra ses maximes de vie, évidemment télévisées. Il ne pouvait se contenter d'un hommage simple et discret. Il fallait qu'il parle.
« Il faut qu'on soit très prudent tant qu'on ne l'a pas arrêté, il y a beaucoup de personnes qui sont à ses basques, on ne lui laissera pas une chance. Mais la République, ce n'est pas la vengeance, il faut qu'on l'arrête. Les grands criminels sont seuls, c'est un travail très difficile.Dans l'après-midi de mardi, Nicolas Sarkozy s'est également rendu à l'aéroport de Roissy. Il était suivi par sa troupe médiatique. Il s'est recueilli devant les 4 cercueils, 3 enfants et un adulte tués la veille à Toulouse. C'était la France forte en action. A nouveau, il ne put s'empêcher de partager son émotion. Il se savait en campagne. En sortant de la salle de recueillement, il y avait un double micro et des spots opportunément installés pour qu'il puisse partager son émotion.
Ce qui me frappe beaucoup, c'est la froideur avec laquelle il exécute, il n'y a pas de colère, il y a de la violence froide.
En rentrant, je me suis dis : 'Qu'est-ce-que je vais leur dire à ces pauvres gens'. Parfois, il n'y a rien à dire, il y a à partager. La civilisation ne garantit pas de la barbarie de certains hommes. Y a-t-il forcément une réponse rationnelle à un déchaînement de cette nature barbare ? Malheureusement, tout ne s'explique pas. »
« Nous avons été impressionnés par le courage de cette mère de famille, qui reste avec sa fille et qui a vu, sous ses yeux (...), son mari et ses deux enfants, dans une flaque de sang. Que voulez-vous dire ? Ce grand-père qui a perdu dans la même minute son fils et ses deux petits-fils... Le directeur de l'école qui a vu à bout portant sa fille de 8 ans prendre une balle dans la tête... Qui peut accepter cela ? Personne.»
La video, bien sûr, fut postée sur Elysee.fr. C'était la quatrième du jour.
Mercredi, Nicolas Sarkozy ne pourra pas récupérer les funérailles des militaires tués par l'assassin dit de Toulouse. La quasi-totalité des candidats à la présidentielle ont annoncé leur présence.
Si cet homme-là, qui se prétend enfin président à quelque 32 jours d'un scrutin de renouvellement, avait eu quelque décence après l'ignoble, il serait fendu d'un bel hommage solennel puis d'un grand silence.
Un immense silence. Ou il aurait pu inviter tous les autres candidats à un hommage commun à la mémoire des victimes, enfants et adultes, civils et militaires.
Mais Nicolas Sarkozy faisait campagne. Nous pouvions donc tout lâcher. Un journaliste, Christophe Barbier, s'interrogea donc sur Europe 1 dans l'émission Des Clics et Des Claques. Il énuméra toutes les hypothèses qui pourraient bousculer cette campagne.
Autant de questions que nous pouvions poser au président sortant: qu'avait-il fait pour lutter contre l'insécurité depuis 2002 ? Le débat sur l'identité national de novembre 2009 avait-il servi à quelque chose ? Voulait-il relancer la polémique sur la viande halal ou casher ? Pourquoi avait-il décidé de renforcer le contingent français en Afghanistan alors qu'il avait promit le contraire ?