Le dernier livre de Philippe Nemo tire son titre de celui de son premier chapitre. Sans être un tout systématique l'ensemble des chapitres, qui forment un recueil d'articles ou de conférences récents, part de la même hypothèse que "le christianisme est vrai". Ce qui surprendra tous ceux qui l'ont un peu vite enterré...
Ce serait même plutôt à la belle mort de l'athéisme moderne à laquelle nous assisterions.
Car l'athéisme moderne, sous toutes ses formes, au cours des deux derniers siècles "n'a pas établi que l'homme est moins misérable sans Dieu qu'avec Dieu". Ces athéismes sont en fait "morts d'épuisement et de leur propre vacuité".
Dans les deux chapitres consacrés au Livre de Job, l'auteur nous montre qu'il est "un de ceux où s'accomplit le plus nettement la Révélation biblique".
Car ce livre est une révolution éthique et eschatologique :
"- il faut lutter contre le mal inconditionnellement, c'est-à-dire venir au secours d'autrui même si l'on n'est pas responsable de son mal [...]
- vouloir lutter contre le mal dans le monde n'a de sens que si l'on pense que l'avenir peut être différent du passé, que si l'on espère dans l'advenue du Royaume."
Philippe Nemo fait un rapprochement entre le Livre de Job et la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies de Pascal, en laquelle il voit comme une suite spirituelle, une thèse métaphysique :
"Que l'humanité se sache malade est ce qui la rend capable de vouloir les plus grandes aventures de l'esprit."
Philippe Nemo rend hommage à Friedrich Hayek qui a expliqué le processus évolutif de création de normes au cours du temps, lesquelles résultent d'un filtrage où les normes efficientes triomphent des normes fautives. Hayek en concluait que deux figures de la raison étaient également valables :
"Une raison logico-déductive de type "cartésien", qu'on utilise en mathématiques, dans les sciences expérimentales et dans les technologies; et une raison intuitive consistant en principes, en schémas de perception et d'action, ce qu'on appelle "normes" et "valeurs"."
Un ordre social peut résulter de ce processus et assurer la survie de l'humanité, aboutir à "une paix de Babylone", mais le mal ne disparaît pas pour autant. Pour que l'humanité puisse espérer surmonter le désordre essentiel qu'elle porte en elle, encore faut-il, selon Nemo:
"Que des hommes animés de l'esprit de charité interviennent à certains moments cruciaux dans les processus naturels des normes pour les orienter vers un Bien transcendant. Seuls peuvent être animés de cet esprit ceux à qui il a été rendu témoignage de l'Evangile."
On retrouve dans Le Sermon sur la montagne la même révolution éthique que dans le Livre de Job :
"En instaurant cette nouvelle éthique et le dogme du péché originel qui lui est lié, la Bible a créé la liberté - la liberté fondamentale dont les libertés politiques, intellectuelles et économiques ne sont que des modalités."
Qu'est-ce qu'être "pécheurs", sinon être responsables moralement, donc libres puisqu'il est possible d'agir autrement. La raison humaine est limitée et, dans le même temps, la science est infinie, comme Dieu. Pour progresser vers la vérité, il faut donc renoncer à la certitude et combattre les positions par trop dogmatiques. Il faut permettre aux opinions nouvelles de s'exprimer afin de "reconstituer les morceaux de la vérité éclatés depuis la Chute". C'est pourquoi la charité est à l'origine de la tolérance.
La charité ne doit donc pas être entendue dans le seul sens de l'action caritative:
"Elle veut le bien de tous les hommes, elle entend remédier à toutes les souffrances, et pas seulement celles provoquées par la faim et le dénuement. Elle est la réponse divinement inspirée à la pauvreté des hommes : or, tous les hommes sont "pauvres" de quelque chose, et pas seulement ceux qu'on appelle "pauvres" au sens économique ou sociologique."
La charité peut très bien s'exercer par la croissance économique :
"Dès lors qu'il crée des richesses, l'acte économique efficient peut être lui aussi fraternel au sens de la vertu théologale, même s'il ne l'est pas au sens du vécu psychologique, et même si le don n'est pas immédiat et charnel, mais médiatisé par un prix ou un cours de Bourse."
D'ailleurs :
"Il n'y a pas de raison de principe qui l'empêcherait [l'Eglise] de canoniser quelque jour des entrepreneurs et des capitaines d'industrie."
Nemo distingue trois libéralismes :
- celui où la liberté est une valeur en soi : il "est représenté par des penseurs comme Montesquieu ou Tocqueville";
- celui où la liberté est un moyen en vue du progrès : il est représenté par "les philosophies utilitaristes, les théories économiques classiques et néoclassiques, les libéralismes évolutionnistes comme ceux d'Herbert Spencer ou de Friedrich Hayek";
- celui pour lequel le progrès lui-même n'est qu'un moyen en vue d'atteindre des fins éthiques et eschatologiques supérieures, autrement dit le libéralisme pour la charité : il est représenté par "saint Thomas d'Aquin et la tradition thomiste jusqu'à l'école de Salamanque, Grotius, Milton, Locke, Bayle, Kant, Wilhelm von Humboldt, Benjamin Constant, Frédéric Bastiat, Lord Acton, des Allemands comme Walter Eucken ou Ludwig Ehrard, des Italiens comme Taparelli d'Azeglio, Antonio Rosmini, Luigi Einaudi ou Don Sturzo", liste non exhaustive...
Nemo cite tout particulièrement un passage du De la religion de Benjamin Constant.
Le lecteur n'est pas surpris que l'auteur défende in fine les racines chrétiennes de l'Europe et s'insurge contre leur dénégation. Il n'est pas non plus surpris qu'il prédise la fin du nihilisme... et le retour des transcendentaux que sont le Beau, le Vrai et le Bien.
Ce livre bouscule les idées reçues et notamment celles qui consistent à penser que le christianisme est mort et que les révolutions qu'il a opérées ne sont plus d'actualité. Au contraire, le christianisme et le libéralisme pour la charité ont de beaux jours devant eux.
Francis Richard
La belle mort de l'athéisme moderne, de Philippe Nemo, 154 pages, PUF ici