Magazine Nouvelles

Le tao du pseudo - I

Par Alainlasverne @AlainLasverne

 

GRAPH-XXXXXI.jpg
ongtemps j'ai vécu sans pseudo. A vrai dire. le nom sur la couverture m'échappait aussitôt lu, qu'il fut
YIN-YANG-II.jpg
pseudo ou véritable. M'interroger sur des alias, des personnalités disons virtuelles relevait d'une attitude vis-à-vis de la lecture incompatible avec l'enthousiasme innocent de mes premières années en compagnie des livres.

Le bois des certitudes ne se fendait nullement face à la BD, dont les planches constituèrent mes premières lectures. Si Hergé était le nom du créateur de l'immortel détective en pantalon rétréci au lavage et de son chien non moins collector, je ne m'en suis aperçu qu'une dizaine d'années après avoir commencé la lecture de ses aventures. Le terrible Zembla, Bleck le roc, le Fantôme n'avaient eux non plus aucun auteur remarquable, a fortiori aucun pseudo. La puissance de ces héros musculeux et leurs fantastiques sagas dissipaient, de toute façon, l'idée même d'un créateur. Comme tous les vrais mythes, ils étaient incréés. Quel petit délire intellectuel sur le pseudo aurait pu concurrencer l'océan imaginaire qui m'ouvrait ses ondes à chaque première page d'une bd ? La question ne m'intéressait pas, je n'avais rien à faire du pseudo. A quoi bon cogiter sur le bord d'une histoire qui va vous amener à trois mille années-lumière de vous-même ?...

Même réaction devant mes premiers « vrais » livres. Alexandre Dumas avait un nom tout a fait crédible et délicieusement transparent. Je n'ai dû commencer à le retenir qu'en attaquant le Vicomte de Bragelonne. Les immortels auteurs de Croc-Blanc, d'Ivanhoe ou Jody et le faon ont également franchi mes yeux sans accéder à ma mémoire. Et combien d'autres ?...Ce qui accréditerait l'idée d'une sorte de relation inversement proportionnelle entre intérêt pour un livre et connaissance de son auteur. Une question qui n'est pas posée ici et m'entraînerait dans des chemins tout à fait de traverse. Non pas que je n'aime pas bifurquer, mais j'ai plus envie de continuer à tourner autour du pseudo.

On a frappé à la porte de ma bienheureuse bulle quand j'entrai dans ce qu'on n'appelle plus, ou très peu, l'âge ingrat, dont je me dépêchais chaque jour d'enfouir les culpabilités anodines et sans fond sous des quintaux d'ouvrages.

Après avoir ingurgité les recommandations scolaires – me semble-t-il Georges Sand et Maupassant, plus quelles strophes sacrifiées, déjà, de Prévert -, j'étais venu, par la bibliothèque et le commerce, à la SF dont les poches commençaient à se faire une place sur les rayons, même en province. Je me droguais au space-opera robuste avec des auteurs dont les noms, mêmes à mes yeux de fan, paraissaient quelque peu artificiels. Je découvrais le pseudo. Je remarquais, pour tout dire, que les livres avaient des êtres semblables à moi pour auteurs, comme les filles avaient des jambes identiques aux nôtres mais pas tout à fait pareilles, cependant.

Par contiguïté, me vient une interrogation actuelle. Comment Gilles d'Argyre (pseudo de Gérard Klein) Kurt Steiner (pseudo d'André Ruellan) ou B.R. Bruss (pseudo de René Bonnefoiy) avaient-ils choisi des alias aussi transparents ? Cherchaient-ils à introduire la dérision, par revanche de n'être pas autorisés à se réclamer de leur vrai nom ? J'inclinerais vers une hypothèse un peu subversive, vu que nous étions dans les années 68. Je reste persuadé que flottait en eux l'envie de glisser dans l'esprit du lecteur une suspicion initiale, le prélude à des lectures au second degré. Se présentant sous un nom manifestement artificiel, ils plantaient un décor truqué à l'entrée des récits. Nous étions invités à n'adhérer que de loin à ces récits de space-opera qu'ils nous servaient à un rythme effréné. Rythme que je tenais sans problèmes avec à peu près deux heures de lecture au fond de ma chambre, chaque jour.

Et j’étais, en ces années-là, bien plus porté à l'adhésion qu'à la dérision.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Alainlasverne 2488 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte