Lettre aux amis de la pédopsychiatrie d'aujourd'hui
Pierre Delion, Lille le 20 Mars 2012, jour du printemps
Chers amis, nous voilà maintenant dans une situation extrêmement préoccupante au sujet de l'autisme et des recommandations qui viennent de sortir de l'HAS, puisque les soins seront prescrits, pour certains d'entre eux par des forces extérieures à notre corps professionnel. Je ne dis pas que seuls les pédopsychiatres doivent indiquer des soins, puisque l'expérience de la psychothérapie institutionnelle nous a justement appris à partager nos décisions avec l'ensemble de nos équipes, à prendre en compte les avis de nos partenaires, et le tout, sous l'égide bienveillante des parents, quand cela est possible. Mais là, nous faisons une nouvelle expérience, celle d'avoir à assumer des décisions venues de l'extérieur de notre champ de compétences, et qui, selon notre expérience antérieure, semble peu adaptées, sinon inadaptées aux problèmes rencontrés. L'exemple du packing vient immédiatement à l'esprit et va être dans les semaines qui viennent un réel problème lorsqu'il va nous falloir répondre aux parents qui veulent à tout prix continuer ce soin pour leur enfant, alors que, hors de la recherche lilloise, la HAS, instance opposable en droit, s'y oppose formellement, même à titre exceptionnel. Ces parents nous rappellent d'ailleurs qu'ils n'ont pas été consultés dans ces décisions, alors qu'ils étaient les premiers concernés par leurs enfants bénéficiant du packing. Voilà un exemple à partir duquel nous allons devoir réfléchir pour trouver des aménagements, sans nous mettre en danger puisque vous savez que le président de "vaincre l'autisme" a prévenu qu'il intenterait un procès en justice à toute personne dérogeant à ces recommandations. On peut lui faire confiance sur sa détermination à ce sujet. Mais voyons plus globalement comment va se passer la suite. J'ai peur que, concernant les autres soins relationnels, la même procédure soit mise en place assez rapidement : la pataugeoire, l'équithérapie, les ateliers conte et autres activités thérapeutiques des hôpitaux de jour de nos secteurs de pédopsychiatrie. Comment va-t-on précéder ? Allons nous laisser éradiquer ces outils thérapeutiques sur lesquels nous instituions nos soins avec les enfants ? Comment dès lors mettre davantage les parents des enfants que nous soignons dans le coup de ces nouvelles modalités de soins imposées ? Jusqu'alors j'avais toujours eu beaucoup de réticences à le faire. Pour le packing, j'avais vraiment résisté à l'idée de demander aux parents de prendre partie pour défendre le soin de leur enfant, pensant que nos organisations professionnelles le feraient sans réticences. L'histoire récente nous montre qu'il n'en est rien et que nous allons devoir changer de stratégie à ce propos. Il va nous falloir permettre aux parents engagés avec nous dans les soins de leur enfant soit de fonder de nouvelles associations, soit de s'engager dans les associations existantes pour y apporter d'autres points de vue demeurés en retrait jusqu'alors. En effet, lorsque je discute avec des parents, engagés que nous sommes avec eux dans une confiance réciproque nécessaire à tout soin de leur enfant, je suis frappé de voir comment ces parents jugent les réactions des représentants d'associations de parents d'enfants autistes avec étonnement et sagesse. Avec étonnement, car il leur paraît souvent curieux que ces parents puissent avoir une telle haine vis à vis des pédopsychiatres et de leurs équipes, sauf à considérer qu'il s'agit d'expériences traumatiques anciennes qui tournent en boucle sur les forum et dans les discussions des détracteurs. L'hypothèse la plus vraisemblable est que ces parents ne sont plus en lien avec nos équipes à la suite de désaccords sans doute compréhensibles, mais généralisés à outrance. Avec sagesse, et l'exemple le plus frappant qu'ils prennent, là encore, est celui du packing, car ces parents pensent que les principaux détracteurs ne savent visiblement pas de quoi ils parlent, si j'en juge aux films d'horreur que "vaincre l'autisme" monte et promeut pour démontrer l'inanité de cette technique, comme si leur avis de témoins ne suffisait pas à convaincre. D'ailleurs, je suis très étonné que le président de "vaincre l'autisme", si prompt à faire des procès, n'ait pas encore trouvé un seul cas de parents prêts à le suivre pour les reproches qu'il fait au packing. Cela devrait attirer l'attention d'un pouvoir scientifique, l'HAS, sur l'écart entre ce qui est proféré avec une extrême violence et la réalité de ce qui est dénoncé. Mais cela devrait surtout attirer l'attention des pouvoirs publics et des politiques qui, loin de tempérer ces excès, s'en servent lâchement pour ne pas répondre aux besoins énormes dont il est question dans cette guerre de l'autisme. Pour avancer sur ces problèmes importants, il faut une nouvelle approche qui prenne en considération les avis de tous les parents et pas seulement ceux qui sont contre. Il nous reste à trouver les moyens de déclencher un tel débat.
Mais plus avant, c'est l'ensemble de la pédopsychiatrie qui est menacée, car déjà certains s'élèvent contre le fait que les pédopsychiatres aient quoi que ce soit à dire sur les "dys", sur les "thada", et bientôt sur l'ensemble de notre champ pédopsychiatrique. Soit la neurologie, discipline médicale plus noble, va rafler la mise, soit le médicosocial la récupèrera. On peut penser que pour des argument techniques et financiers, ce sera la deuxième solution que sera retenue En effet, les neuropédiatres ont déjà beaucoup de travail avec leur spécialité et je les vois mal se charger de la prise en charge des TED/TSA, des "dys", et des autres pathologies pédopsychiatriques, d'une autre manière que ce que nous faisons actuellement, c'est-à-dire, dans les bons cas, en coopération. Par contre, le médicosocial pour les cas les plus graves sera mis à contribution, mais sans les moyens nécessaires à une bonne qualité d'accueil de ces enfants, et surtout sans que les aspects médicaux, que la pédopsychiatrie prenait en compte, le soient réellement. Un grand absent du débat, mais cela ne durera pas, l'éducation nationale. En effet, les parents, « vent debout » sur la loi d'intégration scolaire, réclament un maintien de leur enfant dans l'école avec les autres enfants sans problèmes particuliers. C'est aussi la position que les pédopsychiatres de secteur ont toujours défendu, on l'oublie trop souvent, dans le cadre d'une politique de pédopsychiatrie dans la cité. Si les moyens prévus dans la loi en question étaient disponibles pour ce faire, cela serait une expérience à tenter. Mais les derniers évènements politiques en faveur du handicap à l'école ont montré, par la suppression de près de 80 000 postes y compris des Rased, que les promesses n'ont pas été tenues. Les instituteurs, même motivés, peuvent-ils accueillir dans leurs classes autant d'enfants qu'il est annoncé ? Le chiffre mirobolant de 650 000 enfants autistes en France, résultat d'une OPA portant sur l'ensemble des enfants les plus gravement atteints dans leur développement, va trouver là ses limites en termes d'effets d'annonce ! Les enseignants ne sont pas prêts dans les conditions actuelles à faire cet effort. Les parents vont devoir trouver des solutions dans le médicosocial pour ceux qui n'auront pas les moyens de faire les frais eux-mêmes de ces suppléments d'éducation non républicains. Et le médicosocial est souvent content de trouver auprès des équipes de pédopsychiatrie le secours dont il a naturellement besoin dans le cadre d'une politique de secteur digne de ce nom ! Seulement voilà !, à force de tirer sur le pédopsychiatre, de le disqualifier, de le vilipender et de lui faire porter la responsabilité que le manque cruel de moyens porte en réalité, les équipes de pédopsychiatrie vont se déliter, leurs forces vont se répartir autrement et, au vu de la réputation faite par le gouvernement actuel à cette spécialité médicale et nombre de médias, les jeunes praticiens vont se poser la question à deux fois avant de décider de s'y engager. Le débat est devenu tellement fou dans la plupart des médias que la dissuasion vis-à-vis de la pédopsychiatrie va s'exercer sans juste discrimination et conduire à un nouveau manque de moyens humains, accentué par une politique imbécile de santé publique. Ne nous y trompons pas, ce qui arrive avec l'autisme est la suite logique de ce que nous avons déjà connu avec le combat de "pas de zéro de conduite" lorsque le gouvernement voulait imposer une vision politique de la prévention prédictive, sans rapport avec les petits d'hommes, mais davantage inspirée de celle des rats de laboratoires. La réaction d'alors avait été suffisamment forte pour que nous puissions constituer un rapport de force de nature à empêcher l'imposition de mauvaises décisions par un pouvoir ivre de scientisme. Nous vivons aujourd'hui une contre-offensive de ce même pouvoir devenu cynique et démagogue. Une seule solution face à ce qui arrive aujourd'hui, tous debout contre ces manières de gouverner la santé qui font appel à des parodies de sciences et à des alliances avec les intégrismes de tous bords. Nous devons redonner à la pédopsychiatrie la place qu'elle a, notamment auprès des enfants qui présentent les pathologies les plus graves, pour que personne ne soit laissé au bord du chemin. Nous devons faire passer à nos représentants professionnels le message qu'il n'est plus possible de céder le moindre pouce de terrain du bon sens clinique à l'outrance actuelle et qu'il faut en venir à un véritable débat technique entre professionnels, relayés par des rencontres avec les parents des enfants concernés et leurs familles, et soutenus par des moyens appropriés proposés par les politiques dont c'est la mission.
Nous vivons actuellement une confusion des rôles qui risque de fragiliser les mécanismes de la démocratie en demandant aux parents d'être des chercheurs et des avocats, aux chercheurs de donner un avis éclairé sur des domaines qui ne sont pas de leurs compétences, aux politiques de dire ce qui est techniquement utile pour les soins et aux professionnels de devenir les victimes de la vindicte populaire.
Nous ne pouvons pas continuer d'entretenir ces fantasmes mortifères, ni leurs effets inévitables, car lorsque le soufflet retombera, qui sera en mesure de prendre en charge les enfants en grande souffrance et leurs parents désemparés ?
Les politiques actuels auront, espérons-le, quitté le pouvoir, les représentants d'associations seront aux prises avec des promesses de guérisons non tenues auprès de leurs adhérents, et les professionnels seront tellement disqualifiés qu'ils auront le plus grand mal à inspirer à nouveau confiance aux parents pour pratiquer humainement selon une politique qui antérieurement, avait mis plusieurs générations à se concrétiser.
Il est grand temps d'en revenir à la raison, non pas celle d'une science érigée en pourvoyeuse de miracles, mais celle d'un juste milieu, articulant sans cesse les dernières découvertes de la science fondamentale avec ceux des sciences humaines, dans une éthique du lien et de l'humain.